Depuis son origine jusqu’à sa finalisation, Hot Milk est un film 100 % féminin. Au centre, un duo mère-fille à la relation toxique, dynamitée par une Vicky Krieps qui met son grain de sable dans une mécanique bancale.
Le film Hot Milk est une histoire de femmes qui s’est écrite dans le temps. Au départ, il y a d’abord un livre, celui de Deborah Levy, sorti en 2016. «Un roman intriguant et particulièrement captivant», précise sur le dossier de presse Christine Langan, l’une des deux productrices du projet avec Kate Glover.
Restait, pour compléter le paysage, la réalisatrice Rebecca Lenkiewicz, connue habituellement pour ses scénarios (dont She Said, autour de l’affaire Weinstein), mais qui se met là pour la première fois derrière la caméra. L’objectif est annoncé noir sur blanc : «J’ai toujours constaté que les séquences de plage et les scènes d’amour étaient marquées par un point de vue masculin», dit-elle. «Je voulais adopter un regard féminin fort, crû et sans concession, très loin d’Alerte à Malibu!».
Oui, en dépit de son titre, il y a plus d’eau que de lait dans Hot Milk. On file en effet en bord de mer en compagnie d’un autre trio. Il y a Rose (interprétée par Fiona Shaw), en quête d’un traitement pour une mystérieuse paralysie qui la cloue sur un fauteuil roulant, bien que ses douleurs disparaissent parfois, au gré des circonstances.
Pour la soutenir et l’accompagner dans une station balnéaire du sud de l’Espagne afin d’y consulter un médecin réputé aux méthodes peu orthodoxes (Vincent Perez), elle peut compter sur sa fille Sofia (Emma Mackey), totalement dévouée. Entre les deux, toutefois, les mensonges et les non-dits sont légion. En guise de sucre sur la dent cariée, il y a enfin Ingrid (Vicky Krieps), sorte de Gorgone qui trouble les esprits, libre et séductrice, par qui tout va se déliter.
Comme dans un film d’Emmanuel Mouret, l’intrigue est extrêmement ténue. Tout tient donc à l’interaction entre les personnages et leurs psychologies. Ici, que des figures féminines complexes. Pour Fiona Shaw, la sienne est castratrice : «Elle empêche sa fille de voler de ses propres ailes et de pouvoir s’aventurer librement dans le monde.» Évoquant Sofia, étudiante et serveuse, Emma Mackey parle d’une «observatrice» toujours à distance qui, peu à peu, va apprendre à s’imposer.
Le film est un concentré de nature humaine !
«C’est le sujet du film !», clame-t-elle. Reste Ingrid, qui la «déstabilise de manière viscérale». Elle est «libre et cool», explique Vicky Krieps à propos de son personnage, «et dans le même temps, fébrile, émotive et paumée comme tout le monde !». Elle poursuit : «Il y a des gens qu’on rencontre et qui vous accompagnent dans la vie, vous aident à grandir. C’est peut-être douloureux pour Sofia, mais c’est ce qui va lui permettre de se projeter dans un nouvel avenir».
Une liaison qui s’est poursuivie, pour de vrai, sur le tapis rouge de la Berlinale en février dernier, où le film était en compétition (sans rien y gagner). Tourner, c’est comme «tomber amoureuses» devant la caméra, ont ainsi expliqué les deux actrices d’une même voix. «Il y a eu une belle découverte de l’autre», a expliqué Vicky Krieps. «C’était beau parce que, honnêtement, on a toutes les deux essayé d’être émerveillées par cette autre personne, cet autre corps, cette autre peau», a-t-elle poursuivi. «Se laisser émouvoir, dans un film, ça se voit et c’est ce qui est le plus proche de l’amour». «C’était tout à fait ça, tout à fait surprenant, même si je n’ai pas trop essayé d’y penser», a ajouté Emma Mackey, révélée dans la série Sex Education et vue dans Barbie.
Dans un décor à la beauté trompeuse, ballotées par leurs traumas respectifs, ces trois femmes se perdent dans une fable sensuelle et troublante, où les émotions se répandent. «Bien sûr, ce n’est pas un feel good movie, mais j’aimerais que les spectateurs, en quittant la salle, aient le sentiment d’avoir voyagé vers une terre inconnue pour découvrir des êtres surprenants», dit encore la réalisatrice, qui pense que les sujets abordés par son film, universels, vont plaire. «On y parle de sexualité, de la mort, de dépendance mutuelle et d’amour. Je crois que le public s’attachera aux personnages. Il sera en empathie avec eux.»
Fiona Shaw va même plus loin : pour elle, Hot Milk plonge aux racines mêmes de la dramaturgie – celle qui nous définit en tant qu’êtres. «Le film est un concentré de nature humaine!», dit-elle. Même son de cloche chez Emma Mackey, qui préfère parler de son côté «d’incertitude» : «C’est une œuvre contemplative autour de personnes qui tentent de se comprendre, de trouver un sens à leur vie. Il y a là quelque chose d’entêtant là-dedans». La chaleur andalouse devient alors le miroir de ces âmes cabossées par le poids du passé, jusqu’à un dénouement que la productrice Kate Glover voit comme «dérangeant». «C’est sûr que la fin va diviser», promet-elle.
Hot Milk, de Rebecca Lenkiewicz.