Dans un récit mêlant science, politique et souvenirs personnels, l’auteur italien Roberto Grossi interroge le déni qui empêche l’homme d’agir face à l’effondrement climatique. Un sujet plombant, magnifié par un dessin alerte.
Roberto Grossi n’est pas le premier à s’inquiéter de la montée des températures et des eaux, comme de cette fâcheuse habitude qu’a l’humanité de baisser les bras et de détourner le regard. Rappelons notamment Don’t Look Up d’Adam McKay (2021), film satirique qui montrait l’indifférence des politiques face à la question, malgré un solide consensus scientifique.
La même année, dans une approche aussi bavarde mais plus rigoureuse, c’est le roman graphique Le Monde sans fin, de Christophe Blain et du spécialiste de l’énergie Jean-Marc Jancovici, qui allait marquer les esprits avec son analyse sur le climat en souffrance et l’obligation, à court terme, de trouver des alternatives.
Depuis, si les œuvres sur cette thématique se sont multipliées, les dirigeants restent sourds aux appels et poursuivent leur fuite en avant, la croissance portée en étendard. Et la population, elle, garde la tête plantée dans le sol. Ne boudons pas alors cette nouvelle piqûre de rappel.
Sorti en Italie en octobre 2024 sous le titre La grande rimozione (pour détachement ou refoulement), l’ouvrage de Roberto Grossi fait d’abord comme les autres : il s’appuie sur des données et des faits vérifiables, comme en attestent les nombreuses références citées.
Par contre, nostalgique, l’auteur lance l’affaire en se remémorant ses vacances en famille sur la Mer de Glace. Le garçon de 11 ans qu’il était a disparu, comme ce glacier du Mont-Blanc (qui a reculé de 800 mètres au cours des trente-cinq dernières années), tous deux victimes de la «croissance».
De ce postulat amer, l’auteur va dérouler sept parties implacables, entrecoupées d’un entretien entre un journaliste aux lunettes rouges et aux remarques superficielles et un professeur barbu et sérieux, appelé Zerk.
Entre les deux est mis sur le tapis un «drame historique» qui a démarré il y a 240 ans, comme l’écrit en postface Clément Sénéchal, expert des enjeux climatiques : celui de la «destruction délibéré du seul écosystème favorable à l’épanouissement de la vie humaine».
Alors que tout se réchauffe, les observations, analyses et visions d’avenir relayées par Roberto Grossi sont glaçantes. D’ailleurs, son premier chapitre s’intitule «Apocalypse», et à ceux qui imaginent une fin hollywoodienne façon Armageddon ou Deep Impact, il répond, définitif : «L’astéroïde, c’est nous!».
Quant aux sceptiques, complotistes et autres techno-croyants qui parlent de cycles naturels ou croient en une manipulation en vue d’augmenter les impôts, il donne alors un conseil : prendre du recul pour voir le problème de façon globale.
En l’occurrence que la vie est une grande chaîne faite de «systèmes complexes qui s’équilibrent», et qu’à force de les chahuter, tout se délie, sans aucun retour en arrière possible.
Les arguments chiffrés ne manquent pas : par exemple, 96 % de la biomasse des mammifères de la planète provient des hommes et des animaux d’élevage et, dans le même sens, un million d’espèces animales et végétales risquent l’extinction.
Dans sa démonstration, il passe en revue les gaz à effet de serre, la pollution, les guerres, la surconsommation… Au bout, toutefois, un ennemi commun : le capitalisme, origine de tous les tourments.
«La victoire historique du capital et la destruction de la planète sont une seule et même chose», écrit Roberto Grossi. Avec, dans son sillage, son lot d’inégalités et d’injustices. On apprend ainsi que le jet privé de Lionel Messi, en 2022, a produit en un seul été la quantité de CO2 émise par un Français moyen en 150 ans!
Parallèlement, certains pays connaissent des phénomènes météorologiques extrêmes, à l’image du Pakistan, alors que les 1 % les plus riches émettent autant que les 66 % les plus pauvres… Que faire alors face à ce système pervers, cette crise démocratique, cette absence de réaction politique malgré les premiers «hurlements» datant déjà de 1968 et du Club de Rome?
L’auteur n’y va pas par quatre chemins : lutter, développer les actions collectives, débattre, s’opposer au hors-sol des hommes et femmes au pouvoir (comme récemment en France avec la loi Duplomb) avec, dans le viseur, une «mutation de nos modes de production, de consommation et de nos processus d’élaboration politique».
C’est un combat «pour la vie» dont il est question, clame-t-il, car «nous sommes à l’instant qui précède le choc». Aux grands mots (et maux), Roberto Grossi – c’est sa force – juxtapose les dessins dans des planches saisissantes : ici, des oiseaux sur un fil et, en dessous, des migrants sur le grillage d’une frontière ultrasurveillée; là, un homme seul sur son yacht, alors que sur un autre bateau s’empilent les corps.
Des traits, comme des paroles, dans lesquels apparaît le visage de notre humanité (et inhumanité) commune, traduction artistique capable de «conscientiser». Car oui, conclut-il, «nous avons le choix». Agir ou rester accroché à la formule selon laquelle «jusqu’ici, tout va bien».
Dans l’indifférence générale, de Roberto Grossi. La Boîte à Bulles.