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Projet Alpha : les parents décideront


Les députés ont interrogé le ministre et certains ont fait part de leur propre expérience en tant qu’enfants issus de l’immigration. (Photo :  archives lq/julien garroy)

Une des préoccupations des députés, à propos de l’alphabétisation en français ou en allemand, concerne l’orientation. Les parents choisiront-ils la bonne option pour leur enfant ?

Parmi les députés rassemblés, hier matin, autour du ministre Claude Meisch en commission de l’Éducation nationale, plusieurs sont issus de l’immigration. Ils sont les représentants d’une intégration réussie et sont passés par l’école publique luxembourgeoise. Pour eux, il n’était pas question de choisir la langue d’alphabétisation, comme ce sera désormais le cas, dès la rentrée 2026.

Ce sont les parents qui devront opter pour le français ou l’allemand, estimer ce qui est le meilleur pour l’enfant. C’est déjà à ce niveau que certains ont des doutes. Le député déi gréng Meris Sehovic le sait bien. «Tu feras comme les Luxembourgeois, voilà ce que mes parents m’auraient dit», témoigne le député en commission. Né à Belgrade en 1991, il arrive au Luxembourg peu après sa naissance, ses parents ayant quitté la Yougoslavie en guerre. Il obtiendra ses examens de fin d’études secondaires au lycée classique d’Echternach, avant d’entreprendre des études de sciences politiques et de droit.

Il soutient aujourd’hui le projet Alpha, testé dans quatre écoles du pays depuis 2022 et dont le bilan est très positif.

La présidente de la commission, Barbara Agostino (DP), nous déclare en coulisses que sa mère lui répétait qu’ils étaient des enfants d’immigrés mais qu’il fallait faire comme les Luxembourgeois. «Cette génération-là n’existe plus. Aujourd’hui, les parents n’ont plus le temps et plus l’envie», confie-t-elle. Pour la présidente, il est important de «pousser les enfants vers les compétences où ils sont bons».

«Aucun autre pays ne connaît cette situation»

Un autre député témoigne de son parcours. Ricardo Marques (CSV), d’origine portugaise, déclare en commission qu’il était le seul enfant issu de l’immigration de sa classe à être orienté vers un lycée classique à la fin de son école primaire, il y a 20 ans. «C’est une réelle égalité des chances que d’offrir le choix de l’alphabétisation en français, mais je me pose aussi des questions sur l’orientation. Comment faire changer d’avis des parents qui se trompent?». Cette préoccupation est partagée par d’autres députés. Le ministre Claude Meisch les rassure en précisant que les élèves peuvent toujours changer le régime linguistique si des difficultés apparaissent et d’ajouter que les parents «ont le temps de bien réfléchir».

Actuellement, les deux tiers des élèves ne sont pas d’origine luxembourgeoise. «Aucun autre pays ne connaît cette situation», rappelle Gilles Baum (DP), instituteur de métier. À côté de l’école publique qui offre au fondamental le choix entre le français et l’allemand, il y a aussi les écoles européennes qui proposent l’anglais.

Alex Donnersbach (CSV), à ce sujet, raconte qu’il a échangé avec des immigrés de sa commune de Walferdange qui envoient justement leurs enfants dans les écoles internationales ou dans le privé. «À Walferdange, une grande partie ne fréquente pas l’école publique luxembourgeoise, et si ce projet Alpha rencontre un succès, des problèmes d’infrastructure risquent de se poser», selon lui.

Des enseignants sceptiques

Évidemment, cette nouveauté crée aussi des tensions au sein du corps enseignant. La députée socialiste Francine Closener, dont le parti soutient le projet Alpha comme tous les autres, sauf l’ADR, estime que le rapport fait la part belle aux enseignants «très motivés», mais dans la réalité, ce n’est pas le cas pour tout le monde, comme en témoignent les syndicats qu’elle a entendus se plaindre. «L’inclusion ne fonctionne pas bien non plus», rappelle-t-elle.

Concernant le projet Alpha, les trois quarts des enseignants n’ont pas fait la formation, souligne-t-elle. Cette situation ne surprend guère le ministre Claude Meisch. «Que les enseignants soient sceptiques quand le ministère arrive avec une nouvelle idée, c’est normal et habituel», répond-il.

«C’est un projet qui tient la route»

La présidente de la commission qui vient elle-même du monde de l’éducation nationale, admet que «les gens sont toujours préoccupés quand des choses nouvelles sont décidées», mais Barbara Agostino, réputée pour son franc-parler, reconnaît que le ministre Claude Meisch a «une tendance à décider seul, à mettre des choses en place sans forcément informer les acteurs concernés et les communes».

Cependant, «chacun doit mettre un peu d’eau dans son vin parce que c’est un projet qui tient la route», juge-t-elle. «Les enseignants n’aiment pas être bousculés, ils n’aiment pas changer les habitudes», reconnaît-elle.

Un avant-projet de loi, validé par le Conseil de gouvernement, sera déposé sous peu.

Des classes mixtes

Le projet Alpha prévoit de laisser les parents choisir dans quelle langue – l’allemand ou le français – leur enfant apprend à lire, à écrire et à calculer. Les enfants restent pourtant dans des classes mixtes et suivent ensemble les autres matières qui sont enseignées en luxembourgeois. Au cours de l’échange avec les députés, le ministre de l’Éducation nationale, Claude Meisch, a souligné que le volume d’enseignement en allemand et en français restait le même, tout en accordant un rôle clair au luxembourgeois. Il s’agit, selon lui, d’un «inversement du rythme» de l’apprentissage.

Le ministre a également informé les députés que le Conseil scientifique, qui a accompagné et évalué le projet pilote, restera en place pour accompagner sa généralisation.