En juillet, Judas Priest revient à la Rockhal pour y apporter son «énergie brute», toujours intacte après 55 ans de carrière. Rencontre avec un groupe iconique du heavy metal.
Depuis leur dernier passage à la Rockhal, à l’été 2022, Judas Priest est entré au prestigieux Rock and Roll Hall of Fame : c’est donc en véritable légende du heavy metal que le groupe fera son retour, le 19 juillet.
Non pas qu’il ne l’était pas déjà, avec plus de 50 millions d’albums vendus et des disques cultes, dont Killing Machine (1978), British Steel (1980) ou Painkiller (1990), portés par un jeu de guitare démoniaque et la voix iconique de Rob Halford.
Mais leur tournée, qui fait suite à la sortie de leur 19e album, Invincible Shield (2024) – leur plus gros succès à ce jour –, célèbre aussi les 35 ans de Painkiller : la preuve, comme nous l’assure Ian Hill, membre fondateur et bassiste du groupe, que Judas Priest, après 55 ans de carrière, poursuit son chemin en en ayant encore sous la pédale.
Cinq décennies après sa formation, en 1969, Judas Priest s’est imposé comme une légende du metal, influençant des générations entières de musiciens. Le temps passe-t-il différemment pour vous ?
Ian Hill : (Il sourit) On fait cela depuis très longtemps maintenant, et on a eu énormément de chance, notamment pour notre succès. Déjà, on a réussi à vivre de notre passion.
Et je crois, oui, qu’on a pu inspirer des gens sur notre chemin, y compris pour notre façon de nous habiller et d’occuper la scène. On n’est pas devenus des icônes de la mode, mais pour ce qui est du cuir, on a eu une certaine influence.
Vous n’avez jamais arrêté d’enregistrer et de tourner : êtes-vous encore à la poursuite des mêmes expériences qui ont changé votre vie il y a plusieurs décennies ?
Tous les changements dont on a pu rêver nous sont arrivés il y a de nombreuses années. Aujourd’hui, nous en sommes au point où cela nous rend heureux.
Tout ce que l’on fait, on le fait par passion; on affectionne particulièrement les tournées, évidemment, car cela nous permet d’amener notre musique dans tous ces endroits, à la rencontre de tellement de gens et de cultures.
Vous avez récemment affronté quelques tragédies : la mise en retrait de Glenn Tipton, atteint de la maladie de Parkinson, la rupture d’anévrisme de Richie Faulkner sur scène en 2021, et le décès de deux batteurs historiques du groupe, Dave Holland et Les Binks. Cela a-t-il eu un impact sur la vie du groupe et votre envie de continuer la musique ?
Quand on fait ce que l’on fait depuis si longtemps, on sait que ces choses-là finiront par arriver, c’est naturel. Les gens vont et viennent, et d’autres, malheureusement, nous quitteront pour toujours.
Ce genre de nouvelles tragiques vous mettent toujours un coup. Cela dit, on est encore là pour jouer, c’est le principal, et le public continue de venir nous voir. Donc on poursuit l’aventure et on adore ça.
Surtout, si on avait arrêté, Les, Dave ou toute autre personne impliquée dans le groupe ne nous l’aurait pas pardonné.
On n’est pas là pour parler politique ou religion : on existe pour divertir les gens
Judas Priest est toujours resté fidèle à un son et à une énergie reconnaissables. Comme si la musique n’était pas affectée par tous ces changements…
Ça n’a pas toujours été vrai. Il y a eu un temps où Rob Halford a quitté Judas Priest pour former son propre groupe. Avec Ripper, son remplaçant, on a vécu une période compliquée. Glenn aussi a pris un peu de temps hors du groupe pour faire un album solo.
Mais à part ça, on n’a jamais arrêté de jouer ensemble, c’est comme ça qu’on est resté à la page. Malgré tous nos changements de batteurs – on en a eu sept ou huit –, Scott Travis est avec nous depuis 1989. Richie, lui, fait partie du groupe depuis une quinzaine d’années maintenant, et tout fonctionne à merveille.
La configuration actuelle serait donc la version définitive de Judas Priest ?
Absolument, c’est en tout cas comme ça que l’on continuera. Notre idée constante, c’est de garder notre son de base, afin que les gens nous écoutent et entendent Judas Priest.
Attention, je ne dis pas qu’on forme des clones (il rit)! Ce que je veux dire, c’est que ces changements ne doivent pas nécessairement modifier la personnalité du groupe. La nôtre est restée intacte : le son est reconnaissable et cela continuera ainsi.
La tournée actuelle semble être une bonne illustration de cela, puisqu’elle est à la fois de votre dernier album, Invincible Shield, et célèbre les 35 ans de l’album culte Painkiller…
Si le son du groupe reste le même, ce n’est pas forcément le cas des chansons, qui ont changé. C’est ce qu’on veut faire avec nos albums : essayer de rendre les choses un peu meilleures à chaque fois, en y incorporant tout ce que l’on apprend.
À 73 ans, je me sens encore chaque jour en apprentissage : du point de vue de la musique, ce sont ces choses-là que l’on veut mettre dans notre prochain projet. C’est ce qu’on a toujours fait.
Faut-il comprendre qu’un vingtième album est en préparation ?
Pour l’instant, on est en tournée. Mais oui, on a quelque chose dans les tuyaux.
Est-il plus facile de puiser cette énergie dans ce que vous créez en studio ou dans la spontanéité du live ?
Ce sont deux types d’énergie différents. Pour un album, l’énergie est en quelque sorte artificielle, parce qu’on travaille énormément dessus, on l’assemble, une pièce après l’autre.
Pour ce qui est du live, l’énergie est brute, instantanée, et elle varie selon les humeurs individuelles des musiciens. Parfois on passe une bonne soirée, parfois on se sent comme de la merde… et on passe une soirée de merde (il rit)!
Ce contraste, c’est la raison pour laquelle les gens veulent voir des concerts. En retour, on se nourrit de ce que nous donne le public : s’il est super, à nous de lui rendre la pareille en nous donnant le mal d’être à la hauteur. En bref, le studio est un endroit pour l’énergie créative, tandis que sur scène, c’est l’énergie de la performance qui prime.
On n’a jamais arrêté de jouer, c’est comme ça qu’on est resté à la page
Revenons à une histoire tristement célèbre : en 1990, alors que vous vous apprêtez à sortir Painkiller, vous faites l’objet d’un procès pour messages subliminaux qui auraient poussé deux jeunes hommes au suicide…
C’était un non-évènement, créé de toutes pièces par des gens qui avaient d’autres intentions, en impliquant la politique, la religion… On a été accusé de messages subliminaux dès 1978 – à ce moment-là, personne ne savait ce que c’était.
En gros, on nous a dit qu’il y avait un message subliminal dans telle chanson. Nous, on leur assurait qu’on n’entendait rien, et ils nous répondaient : « Parce que c’est subliminal! ».
C’était à nous de prouver que quelque chose qu’on ne peut pas entendre n’existe effectivement pas. Tout ça, c’était un souhait de mort financière; au final, ça a coûté une certaine somme d’argent à notre label et beaucoup plus au contribuable américain. Nous, pas tant que ça.
Pensez-vous que la véritable cible était votre musique, qui ne plaisait pas beaucoup à des gens de pouvoir, comme cela est arrivé par la suite à Marilyn Manson ou, dans les années 1990, au rap ?
On a servi de cobayes à des gens qui voulaient se placer, et qui avaient de bons avocats. On n’est pas là pour faire un commentaire politique ou religieux : on existe pour divertir les gens.
Je n’y connais pas grand-chose en politique, je suis un putain de musicien. Dès l’instant où la politique entre en scène, cela divisera forcément le public. Au mieux, ça pourrait énerver la moitié de vos fans – quel en est l’intérêt ?
Si vous vous présentez comme un groupe affilié à un parti, très bien, je n’ai pas de problème avec ça : votre public pensera la même chose que vous et ceux qui pensent différemment ne viendront pas. Sinon, il vaut mieux la fermer et vous concentrer sur ce que vous savez faire.
Regardez ce groupe, Bob Vylan : leur visa a été annulé, ce qui les empêche d’assurer leur tournée aux États-Unis, et ils viennent d’être lâchés par leur manager et leur agent. Super, ils ont foutu en l’air toute leur carrière! Il n’y a rien de courageux dans tout ça.
Pour finir sur une note plus légère : le nom Judas Priest provient d’une chanson de Bob Dylan, The Ballad of Frankie Lee and Judas Priest. Est-il au courant ?
On n’a jamais eu la chance de le rencontrer. C’est drôle : l’une de nos chansons, Diamonds and Rust, a été écrite par Joan Baez, et elle parle de Dylan.
Rob l’a rencontrée, sans rapport avec notre reprise, mais ça fait partie de ces liens étranges qui apparaissent. Apparemment, on était l’un des rares groupes à avoir repris l’une de ses chansons, et elle semblait aux anges. À tout point de vue, c’est une grande dame.
Le 19 juillet, à 19 h. Rockhal – Esch-sur-Alzette.