Retrouvez la critique cinéma de la semaine.
La guerre, en vrai. S’il s’agit de l’un des paris les plus osés au cinéma – en termes de mise en scène, d’exactitude narrative mais aussi d’éthique –, force est de constater que nombreux sont les cinéastes à être parvenus à l’objectif à transmettre au plus près le réalisme d’une épreuve pourtant impossible à reproduire aux niveaux physique, émotionnel et psychologique.
Pour en citer quelques-uns : Elem Klimov (Come and See, 1985), Steven Spielberg (Saving Private Ryan, 1998), Oliver Stone (Platoon, 1986), Brian De Palma (Casualties of War, 1989, sur la guerre du Vietnam, et son pendant sur le conflit en Irak, Redacted, 2007), Ridley Scott (Black Hawk Down, 2001), Wolfgang Petersen (Das Boot, 1981), Gillo Pontecorvo (La Bataille d’Alger, 1965), Mel Gibson (Hacksaw Ridge, 2017)… La liste s’allonge avec Warfare, choc esthétique et narratif cosigné par Alex Garland et Ray Mendoza : un film d’embuscade quasiment en temps réel et qui, comme gage du jusqu’au-boutisme de l’honnêteté et de la précision des auteurs, met de côté le surfait «d’après une histoire vraie» pour raconter une histoire – vraie – «basée sur les souvenirs» de ceux qui l’ont vécue.
On ne présente plus le Britannique Alex Garland, scénariste génial qui vient de remonter son tandem culte avec Danny Boyle (28 Years Later, actuellement en salle) et est passé il y a une dizaine d’années à la réalisation avec Ex Machina (2014), qui augurait une nouvelle carrière faite d’œuvres aussi réussies que dérangeantes (on pense à la minisérie Devs, en 2020, et à Men, en 2022), toujours profondément ancrées dans une réalité brûlante. Ray Mendoza, nouveau venu derrière la caméra, a lui récemment quitté l’armée américaine, dans laquelle il a servi près de vingt ans, pour devenir conseiller technique à Hollywood : vétéran de la guerre en Irak, l’homme a travaillé sur Jurassic World (Colin Trevorrow, 2015) ou le jeu vidéo Call of Duty : Modern Warfare (2019).
Leur rencontre sur le tournage de Civil War (2024), la dystopie de Garland réalisée après l’attaque du Capitole et sortie avant la réélection de Donald Trump, se concrétise avec ce film qui, l’air de rien, défie tout ce qui a déjà été vu de la guerre sur grand écran. Ni antimilitariste ni patriotique, encore moins héroïque, ni documentaire ni romancé, usant des seuls artifices nécessaires au récit, Warfare ramasse sur 90 minutes brutes de décoffrage le déroulement d’une mission de reconnaissance des Navy SEALs à Ramadi, en Irak, en 2006, dans laquelle était impliqué le jeune Ray Mendoza.
Cherchez le sang et la fumée. On est là!
Menée par le capitaine Erik (Will Poulter), la section de soldats dont fait partie Mendoza (D’Pharaoh Woon-A-Tai) prend possession d’une maison occupée par des civils; leur rôle, surveiller la zone en soutien à une opération des Marines. Mais quand des jihadistes font évacuer la rue et lancent la première grenade – avec précision –, les Américains se retrouvent pris au piège. Entre attaques-surprises et impossibilité, pour l’unité de renfort, d’arriver rapidement, la section Alpha 1 doit se résoudre à seulement tenter de sauver sa peau… en faisant ce qu’elle peut. Bien que cela ne soit jamais dit explicitement – par ailleurs, le film contient peu de dialogues, hormis les communications extérieures et beaucoup de cris de douleur –, c’est l’idée principale de ce film aussi lucide qu’explicite. Les horreurs de la guerre sont une fatalité à laquelle les personnages ne peuvent échapper; pour se protéger au mieux, restent alors le sens de la solidarité, la coordination et le subterfuge.
Pour un film tourné en studio à Londres et qui joue le minimalisme au montage, privilégiant plutôt les longues prises en mouvement, Warfare regorge pourtant d’images saisissantes. Notamment dans sa seconde partie, déclenchée par une explosion qui blesse gravement deux soldats, dont le sniper Elliot (Cosmo Jarvis) – le vrai Elliot Miller, comme les autres anciens membres de la section, sont venus épauler leur vieux collègue Mendoza en apportant leur expérience sur le tournage.
Un avion de chasse volant en rase-mottes, déchaînant des nuages de sable et un enfer sonore, les vues en noir et blanc d’une caméra thermique observant la zone du dessus, les blessures supportées par les soldats… Dans sa deuxième moitié, le film impressionne par sa capacité à lire le pur chaos dans une mise en scène intense – quand les 40 premières minutes, celles de l’observation et de l’attente, font monter continuellement la tension en étant globalement silencieuses. À juste titre, on n’entend de la musique que dans la scène d’ouverture (tout le reste est dû à un incroyable travail de sound design qui rend le film encore plus immersif), la même dans laquelle on voit pour la seule fois clairement le visage des soldats.
Plus qu’un film, Warfare est un témoignage dévastateur de la réalité de la guerre, avec ses bombes qui vous rendent sourds et vous brûlent les voies respiratoires, ses tremblements de terreur qui induisent des maladresses… Une expérience qui marque au fer rouge, portée par un ensemble de jeunes acteurs dont on connaissait déjà le talent, et qui prouvent ici à quel point ils se sont endurcis.