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Le jazz luxembourgeois s’exporte


Dans sa campagne de promotion musicale censée enterrer ce sentiment d’infériorité qui lui colle à la peau et lui donner la carrure d’un grand d’Europe, le Luxembourg ne mise pas que sur l’Eurovision.

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Derrière le trop-plein de paillettes, la pop ultracalibrée et un show qui fabrique des stars jetables, on en oublierait presque qu’il y a une scène qui, patiemment, cherche depuis des années à se construire des bases solides pour mieux atteindre son eldorado, loin de chez elle et de frontières étouffantes.

Dire que le jazz national est de qualité n’a rien d’original ni de nouveau. Grâce au travail de fond mené par Gast Waltzing dans les années 1980 (avec la création du département Jazz au Conservatoire de la Ville de Luxembourg et, plus tard, du label WPR Records), le pays pouvait rappeler que dans le domaine, il a déjà une histoire à raconter (façonnée par Ernie Hammes, Michel Piltz et d’autres), mais surtout, qu’il en a une nouvelle à écrire.

C’est ainsi qu’est né en 2009 music:LX, bureau d’export attaché à la promotion et au soutien des artistes du cru à l’international (désormais inclus à la structure tentaculaire qu’est Kultur | lx).

Un appui logistique et financier qui permettra à certaines promesses d’émerger et de s’émanciper, toutefois toutes rangées derrière la figure de proue qu’était Pascal Schumacher. Mais une quinzaine d’années plus tard, le vibraphoniste n’est plus le seul dans le «game», bien que mercredi, paradoxalement, il ait été auréolé d’un Opus Klassik – l’équivalent en Allemagne d’un Grammy aux États-Unis ou d’une Victoire de la musique en France – pour son album Glass Two, réalisé en duo avec la pianiste Danae Dörken.

Cela dit, cet été, ce n’est pas son nom qui est à l’affiche du célèbre festival Jazz à Vienne, mais celui de son groupe, Singülar. Comme un symbole, on trouve aussi au programme cinq autres de ses compatriotes, pour une exposition rare qui fait date.

Jazz «progressif» et «européen»

En effet, après la Suisse, c’est le Luxembourg qui bénéficie d’une mise en lumière appelée «focus», qui lui permet de dévoiler ses talents sur scène et en coulisses. Rappelons que le rendez-vous, étalé sur 17 jours, draine plus de 200 000 spectateurs, sans oublier les médias et les professionnels du secteur (labels, manageurs, programmateurs…) sur place.

De quoi espérer de belles retombées, surtout en termes de réseautage. Guillaume Anger, directeur artistique du festival, est lui comblé : «Il y a de beaux projets défendus par de grands musiciens, qui méritent d’avoir de la visibilité», dit-il, bien qu’en difficulté quand il s’agit de définir ce que serait le jazz à la luxembourgeoise.

Il se hasarde quand même : «Il est rigoureux, d’un haut niveau technique et très européen.» Au public, alors, de s’en faire une idée, du 1er au 5 juillet, avec une belle brochette comprenant Arthur Possing, Daniel Migliosi (lire en page 29), le trio Reis Demuth Wiltgen, KLEIN. et Dock in Absolute.

À peine le temps de souffler qu’il faudra se tourner vers le Nord, à des milliers de kilomètres de là. C’est en effet dans la ville d’Édimbourg, en Écosse, que la démonstration de force continue au Jazz & Blues Festival qui verra, à travers 17 scènes fréquentées par plus de 70 000 personnes, défiler d’autres Luxembourgeois : Maxime Bender, Michel Meis, Veda Bartringer ainsi que le groupe Saxitude.

Pour sa part, le saxophoniste Joël Metz participera à un projet collaboratif avec des musiciens écossais. Au tour de Fiona Alexander, productrice exécutive de la manifestation, de se pencher sur cette présence d’un genre nouveau, finalement pas si étonnante que ça : «On connaît depuis longtemps la qualité de cette scène. Son pays est petit, elle s’observe plus facilement!», rigole-t-elle, avant d’en détailler les particularités : «C’est un jazz qui aime l’improvisation et la mélodie. Il est aussi progressif, car il cherche ses influences à différents endroits autour de lui.»

Études à l’étranger et concerts chez les voisins

La spécialiste vise juste, et sa remarque tient à un constat simple : un musicien luxembourgeois ne peut se contenter de jouer dans son pays. Les raisons sont aussi limpides : les endroits où l’on peut se montrer ne sont pas légion et, par conséquent, le public est vite saturé.

Pas le choix, il faut donc qu’ils s’exportent. «C’est l’avantage des petits pays, confirme Guillaume Anger. Ses artistes circulent beaucoup plus dans le monde, car sur leur propre territoire, ils n’ont pas forcément les moyens de vivre de leur art.»

Un calcul très tôt pris en compte par ces jazzmen et jazzwomen nationaux qui, après un passage généralement convenu par le Conservatoire local, épousent sensiblement tous et toutes la même trajectoire : des études supérieures à l’étranger, souvent à Bruxelles, Amsterdam et Berlin, parfois plus loin comme à Londres ou New York.

Sur place, ils se mêlent alors à leurs congénères, collaborent, enregistrent, apprennent d’autres cultures et d’autres façons d’aborder le jazz.

Une fois de retour à la maison, ces expatriés forcés, aidés par leur multilinguisme, échangent les bons plans, les carnets d’adresses et les découvertes.

Rien d’étonnant, en ce sens, de voir leur carrière internationale démarrer avec des concerts donnés chez les voisins (Allemagne, Pays-Bas et France principalement).

Mais ces désirs d’émancipation resteraient en l’état sans l’aide des acteurs locaux : la Sacem, le ministère de la Culture, les lieux dédiés (CAPe, Opderschmelz, Cube 521, Prabbeli, Trifolion, Philharmonie, Jazz Forum, Liquid) et les festivals (Blues’n’Jazz Rallye, Echter’Jazz, Like a Jazz Machine, Shuffle).

Et pour ce qui est de mettre la main à la poche, il y a Kultur | lx qui, dans son tout dernier catalogue à destination des professionnels du secteur («Jazz from Luxembourg – 2025»), dénombre 27 formations à qui elle apporte son appui.

Un bilan sur une «pente ascendante»

Celui-ci peut prendre plusieurs formes, comme le précise Clémence Creff, chargée de projet chez Kultur | lx en charge de la branche jazz (mais aussi classique, contemporaine et world).

Si la plateforme n’offre pas de soutien proprement dit à la production ou la création de contenu, elle joue sur trois leviers financiers : une aide à la promotion (qui permet par exemple de renforcer l’équipe autour d’un artiste en vue de sa promotion), une autre dite de «prospection» (qui offre une meilleure compréhension du fonctionnement des marchés internationaux, des réseaux sociaux…), et une dernière pour la diffusion, la plus utilisée car elle concerne les tournées.

Sans oublier d’autres services et conseils d’accompagnement individuel. Si l’on consulte les chiffres, on est effectivement, comme elle le répète, sur une «pente ascendante» : en 2021, 10 artistes en bénéficiaient, contre 25 l’année dernière (un écart à relativiser en raison de l’impact de la crise sanitaire).

Dernière action, et non des moindres : l’invitation à domicile de professionnels, notamment au festival Like a Jazz Machine, afin d’établir des contacts avec la scène locale. Selon elle, en trois ans, il y a eu une centaine de visites – «mieux, certains reviennent!».

Et dans l’autre sens, Kultur | lx continue à se rapprocher de festivals, comme à Bruxelles, Édimbourg, Brême ou Vienne, pour mettre ses artistes sous les projecteurs, seul ou à travers des collaborations, dans ce qu’elle appelle des «opérations de valorisation».

Au bout, si les statistiques de ventes d’albums ou d’écoutes en streaming manquent, les voyagent, eux, ne mentent pas : cette année, le trio Reis Demuth Wiltgen a ainsi retrouvé le Japon, là où leurs disques plaisent, Benoît Martiny, pour les 20 ans de son «band», est parti jouer au Royaume-Uni, tandis que Greg Lamy s’est offert une escapade au Portugal, lui qu’on a déjà vu en Inde et à Taïwan.

En attendant que le marché national se développe (quid de la création d’un club ?) et se renforce dans son encadrement (labels, manageurs…), reste une condition essentielle pour exister hors des frontières : être prêt, tout simplement.

«Certes, on ouvre la porte, mais derrière, il y a toute une industrie» à affronter, conclut Clémence Creff. Une étape que seul l’artiste décide de franchir ou pas. Personne d’autre.

Un été sous les projecteurs

Aux deux festivals, majeurs en Europe, que sont Jazz à Vienne (France) et l’Edinburgh Jazz & Blues Festival (Écosse), ils ne seront pas moins de onze artistes ou groupes du Luxembourg à partager l’affiche.

Jazz à Vienne

Quatre groupes se produiront sur la scène de Cybèle :

– Le vibraphoniste Pascal Schumacher avec son groupe Singülar

(avec Sebastian Studnitzky et Edward Perraud)

– Arthur Possing en piano solo

– Le quintette du trompettiste Daniel Migliosi

– Le trio Reis Demuth Wiltgen (RDW)

Deux autres seront sur la scène du Club :

– KLEIN., le quartette de Jérôme Klein

– Le trio Dock in Absolute

Du 26 juin au 11 juillet

www.jazzavienne.com

Edinburgh Jazz & Blues Festival

Quatre projets luxembourgeois seront mis en avant :

– Le saxophoniste Maxime Bender et son trio

(Manu Codjia & Stéphane Kerecki)

– Le batteur Michel Meis avec son projet Kolibri

– La guitariste Veda Bartringer en mode quartette

– Le quartette Saxitude

En outre, le saxophoniste Joël Metz participera à un projet

collaboratif (SPARK) avec des musiciens écossais

Du 11 au 20 juillet

https://ejbf.co.uk

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