Après le crash de son premier «rover» Tenacious le 5 juin dernier, ispace Europe, basée quartier Gare à Luxembourg, table sur deux nouveaux modèles prévus pour des missions d’envergure historique.
Périlleuse, l’exploration lunaire est une aventure qui réserve inévitablement quelques péripéties à celui qui s’y lance. Le 5 juin dernier, le rover luxembourgeois Tenacious en a fait les frais en s’écrasant à la surface de la Lune au sein de son alunisseur, ce dernier n’ayant pas pu décélérer à temps.
L’impact du crash s’est ressenti jusqu’au quartier Gare de la capitale, là où ispace d’Europe, filiale de la société japonaise, a conçu pendant deux ans et demi le rover Tenacious sans avoir donc pu le voir à l’œuvre.
Qu’importe la frustration, le premier rover européen, de surcroît luxembourgeois, ne demeure pas moins «une expérience très enrichissante pour ispace et le Luxembourg en général» aux yeux de Julien Lamamy, CEO d’ispace Europe.
Parmi les motifs de satisfaction se trouve d’abord «le temps record dans lequel nous avons développé Tenacious». «En moins de trois ans, nous avons recruté l’équipe, mis le processus en place, fait le design, des tests et la livraison à Tokyo», se félicite-t-il. «Dans le domaine du spatial, c’est quand même très rapide. L’équipe a fait un travail magnifique.»
Une crédibilité pour ispace Europe
Lancée en mars 2017, sept ans après la création de sa maison mère japonaise, la filiale européenne dispose désormais d’une belle carte de visite.
Depuis l’ancien bâtiment logistique de la société Paul Wurth qu’elle occupe, l’équipe a quasi doublé son effectif depuis ses débuts, de 25 à 45 employés, et s’est aussi dotée d’infrastructures à présent reconnues pour leur efficacité. «Nous avons un centre de construction de rover, un centre d’opération de rover, un jardin lunaire pour les tests», dont la crédibilité a fait ses preuves lors de tests en orbite notamment.
Julien Lamamy tient également à mettre avant le pari gagnant que représente la méthode choisie pour construire Tenacious en un temps record.
«Nous avons eu une approche dite « New Space« qui consiste à prendre plus de risques que prendrait une agence, que ce soit pour le design, les composants ou les tests. Nous avons démontré qu’elle fonctionne et que l’on pourra la répliquer.»
Dans un spectre plus large, la réalisation et la validation de la mission du rover luxembourgeois ont «démontré que le positionnement du Grand-Duché sur le spatial commence à porter ses fruits».
Pour cause, il était prévu que le robot récolte du régolithe (poussière et roches lunaires) et réalise la première transaction de ressource lunaire de l’histoire en cédant la propriété à la NASA. Sans le crash, la législation nationale aurait encadré cette vente, faisant ainsi de l’écosystème luxembourgeois «un pionnier mondial».
Deux missions historiques en vue
Portée par le succès de Tenacious, la filiale européenne travaille déjà sur ses successeurs, toujours dans le quartier Gare. Un premier projet concerne la prochaine mission d’ispace (Hakuto-R M3) prévue en 2027 qui s’annonce historique.
L’alunisseur, qui a comme client clé la NASA, doit se poser sur la face cachée de la Lune et le cas échéant, «ce serait une première pour les États-Unis». Si, cette fois, l’alunissage se déroule sans encombre, le rover est mandaté par un client, l’entreprise roumaine Control Data Systems, afin de tester une sorte de transpondeur radio qui localisera le rover.
Le second projet concerne un programme de l’Agence spatiale européenne (ESA) du nom de «Small Explorer» qui consiste à monter des missions «faites en temps record et avec budget record pour explorer la Lune».
Ispace Europe a répondu à l’appel de l’ESA en lui présentant ses objectifs d’exploration et ses partenaires scientifiques et a été présélectionnée «pour être la première mission du programme», dans l’attente de la validation et d’une date de lancement par le conseil ministériel de l’ESA prévu en novembre prochain.
Toujours est-il qu’être le premier choix est «une fierté et une reconnaissance» pour l’équipe luxembourgeoise dont le but de son rover sera de détecter de l’hydrogène afin de savoir sous quelle forme cette molécule se trouve à la surface de la Lune. «Personne encore n’a réussi à faire ce genre de mesures sur la Lune, cela serait c’est une première.» D’ici la fin de la décennie, le Grand-Duché a donc deux nouvelles occasions d’inscrire son nom dans l’histoire du spatial international.
La Lune, une (re)conquête
Julien Lamamy est clair, «l’engouement pour la Lune est un engouement mondial». Preuve en est, selon lui, l’arrivée de nouveaux acteurs «qui ne sont plus du tout les mêmes que dans les années 60».
Alors en pleine guerre froide, les États-Unis et l’URSS se livraient une bataille pour la conquête de la Lune qu’ils partagent aujourd’hui avec «la Chine, l’Inde, le Japon ou encore l’Arabie saoudite». Le nombre de missions alliant investissements publics et privés sont aussi en hausse, ce qui illustre l’importance stratégique prise par l’exploration lunaire.
«Il y a l’aspect fierté nationale qui entre encore en jeu», reconnaît le CEO, mais pas seulement. Il cite également «de nouvelles questions scientifiques» liées à l’hydrogène et la présence d’eau, «l’utilisation des ressources pour l’activité terrestre» telles que l’hélium-3 lunaire et, à terme, «le développement de la présence humaine».
