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[Cinéma] Roxanne Peguet, réalisatrice flamboyante


Avec ses très beaux mélodrames queer, Roxanne Peguet fait partie des cinéastes parmi les plus talentueuses du Luxembourg. Ce mardi soir, l’intégralité de son travail est projeté à la Cinémathèque. Focus et rencontre.

Triptyque pop

Nucléaire (2022), Phoenix (2023), Mia Mio (2024) :  les trois courts métrages réalisés par Roxanne Peguet forment un corpus, sinon des corps qui, vus à la suite, ne font qu’un. Ce sont aussi des points de suspension qui font taper des mains, mais également du pied, comme un redoutable cliffhanger – hâte de voir la suite. Le premier film raconte la bisexualité, et pas qu’en tant qu’orientation sexuelle «double», mais en tant que double vie : c’est l’histoire d’un homme tiraillé entre son couple hétéro et ses aventures homosexuelles, le tout d’être scindé par la dualité entre le jour (le quotidien) et la nuit (la fuite de ce quotidien). Phoenix, «un Black Mirror en noir et blanc» selon la bonne formule de la cinéaste, reprend le nom d’une application qui permet de communiquer avec les défunts et qui – par son concept «méta» – fait écho, sans le vouloir, au nom de l’entreprise dont David Fincher a tiré un film à propos de son créateur, Mark Zuckerberg (The Social Network, 2010). Et puis avec Mia Mio, Roxanne Peguet aborde la crise d’identité de Mia en plein «after», autrement dit quand la gueule de bois menace de succéder à l’hédonisme, mais surtout quand la nuit ouvre une alternative à l’autorité du réel incarné par le jour. Disposant d’une durée à peu près similaire (une trentaine de minutes), les courts métrages se regardent entre eux et se font des clins d’œil, en ce que les points de suspension possèdent des points en commun, à travers une sophistication de l’image et du son, des teintes pop pétillantes, des intermèdes musicaux, des parenthèses planantes, ainsi qu’une sensualité troublante qui transpire par tous les pores du cadre.

Mélodies sonores et visuelles

En musique, le glam ou le disco sont incarnés par des personnages hauts en couleur et en nuances qui étincellent sur scène – le spectacle est bel et bien transcendé par l’ambiguïté, la flamboyance, la beauté. Et les projecteurs remplacent les caméras pour capturer tout ce qui est «bigger than life». Dans le cinéma de Roxanne Peguet, il y a des paillettes et des yeux qui brillent, quand ils ne pleurent pas, hors ou (dans le) champ, des larmes noires. Les héros ressemblent à des sculptures en mouvement. Guillaume Dustan, auteur queer, disait que, dans ses livres, il voulait montrer ses amis comme il les voyait – comme des anges. C’est pareil pour Roxane Peguet, tant avec Phoenix, où il est question de résurrection, ou avec un plan fixe au ralenti dans Mia Mio, où les plumes ressemblent à des miettes d’ailes; elle trouve surtout en ses anges, qui en ont la gueule, des personnages fort cinégéniques. Si François Truffaut affirmait choisir le cinéma à la vie, il va de soi que le septième art constitue une voie de libération, comme l’est la nuit, laquelle baignant dans une lumière plus douce que le jour; la nuit, c’est le jour mieux maquillé.

Si les effets sonores et visuels représentent le maquillage du cinéma, celui de Roxanne Peguet est en tout cas sophistiqué. Il y a du plaisir sensoriel dans des séquences qui semblent sorties tout droit de comédies musicales silencieuses, où les silhouettes sont mouvantes en ayant l’air de danser, il y a même cette sensation d’être face à des mini-clips. Roxane Peguet :  «Un film comme L’Amour ouf est stylisé, mais on s’y amuse. En voyant Saltburn, qui est en format 4:3, aussi. J’ai l’impression que l’ambition stylistique se situe, pour certains, aux antipodes du cinéma d’auteur, et ça me dépasse». En effet, le terme «clipesque», au sujet d’un film, peut être accompagné d’une réprobation, en sous-entendant par là que les artifices renvoient à un produit artificiel, alors que le refus du naturalisme «stricto sensu» n’a jamais réfréné les pures éclats de réalisme. Il est question, chez Roxanne Pequet, de réalisme psychologique : quand il s’agit de filmer une dispute, elle y va, elle va au plus près des corps. Et c’est le meilleur moyen de se rapprocher de la psyché.

Cinéma de genre sexuel?

Dans le triptyque de Roxanne Peguet, il y a des corps qui se désirent et qui se dévorent, le bouche-à-bouche sauve de l’asphyxie symbolique, personnelle ou sociétale. Le réalisateur allemand Rosa von Praunheim avait condensé une idée simple et efficace dans le titre à rallonge de son film Nicht der Homosexuelle ist pervers, sondern die Situation, in der er lebt (1971), traduisible par «Ce n’est pas l’homosexuel qui est pervers mais la société dans laquelle il vit». La phrase peut être reprise ici, dans le cas de la cinéaste, pour qui l’homosexualité est dans le sujet, mais n’est pas LE sujet, car les enjeux se trouvent au sein même des relations humaines, par-delà les genres. Le metteur en scène Gregg Araki a fait de ses personnages queer des personnages tout court; un film tel que Shortbus (John Cameron Mitchell, 2006) est une orgie sur écran qui, avec ses intentions de «démystifier le sexe», accueille toutes les sexualités. Les films de Roxanne Peguet peuvent parfois renvoyer à ces noms, qu’ils fassent office ou non d’inspirations.

Entre le mélodrame bien léché et le cinéma du corps, la réalisatrice a été marquée par le Québécois Xavier Dolan. C’est en tombant sur Mommy (2015) qu’elle se met à rembobiner, pour voir depuis le début sa filmographie : «Je ne vais pas dire que j’ai grandi avec lui; nous avons le même âge. Je l’ai découvert quand j’étais en école de cinéma. Il assume le fait d’être un garçon des « nineties » et de sortir des références culturelles de cette époque». En revanche, Roxanne Peguet a grandi, par le biais des goûts de sa génitrice, avec le cinéma de Pedro Almodóvar. Quant au corps, au sens disons «charnel» du terme? « Si ça a un véritable sens dans le film, j’accepte à priori tout en tant que spectatrice, aussi bien dix minutes de paysage que des scènes de sexe. Quoique… j’ai parfois un peu du mal avec les séquences d’amour injustifiées.» Il n’y a pas de voyeurisme dans ses courts : pour l’exemple, lors de l’ouverture de Nucléaire, la caméra reste derrière la porte, littéralement, et en l’occurrence celle des toilettes; on voit sans voir, ou alors on voit ce qu’elle veut montrer, de la même manière qu’on dirait à quelqu’un qu’on voit ce qu’il veut dire. «C’est intéressant de ne pas tout voir. Quand c’est caché ou montré autrement, par les regards ou par des petits gestes.» En tout cas, après ces trois courts signés Roxanne Peguet, on a envie d’en voir plus.

À voir à la Cinémathèque

Nucléaire (2022)

avec Konstantin Rommelfangen, Magaly Teixeira, Jules Waringo…

Mélissa fait tout pour sauver son couple. Ce serait plus simple si son mari Tun, issu d’un milieu modeste et homophobe, n’était pas follement amoureux de son collègue Alex, qui lui assume entièrement son homosexualité. Les trois vont se retrouver dans un triangle amoureux infernal et toxique. Mais Tun trouvera-t-il une issue à cette situation?

Phoenix (2023)

avec Magaly Teixeira, Jules Waringo, Sophie Mousel…

Dans un futur proche, cinq amis se retrouvent comme à leur habitude dans le chalet familial afin de célébrer Noël. Sauf que cette année, un de leurs amis et le mari d’une des amies n’est pas là, car décédé l’année précédente. Cependant, grâce à l’application Phoenix, qui permet de communiquer et voir les morts en s’y abonnant, Raphaël est tout de même présent. Mais qui s’est abonné à lui?

Mia Mio (2024)

avec Magaly Teixeira, Konstantin Rommelfangen, Rari Matei…

Dans la chaleur persistante des nuits d’été, dans l’atmosphère brumeuse dune énième after party, alors que les derniers invités disparaissent dans l’obscurité, Mia est confrontée à une profonde crise d’identité. Ses deux meilleurs amis vont l’aider tant bien que mal à surmonter cette étape importante, si ce n’est la plus importante de toute sa vie.

Ce soir à partir de 18 h 30.

Cinémathèque – Luxembourg.

Séance suivie d’une rencontre

avec la réalisatrice.