Après la tuerie dans une école de Graz qui a fait 10 morts, les Autrichiens réfléchissent à durcir la loi sur l’acquisition d’armes.
Les demandes affluent: depuis qu’un tireur a tué dix personnes mardi en Autriche, les armuriers observent un regain d’intérêt pour les armes à feu et des voix s’élèvent pour déplorer qu’il soit trop facile de s’en procurer. «Vous n’imaginez pas combien d’inscriptions j’ai enregistré pour des formations au tir», lance Markus Schwaiger, qui tient un magasin à Vienne. «Les gens craignent un durcissement de la loi» dans les prochains mois. Le nombre de pistolets et de fusils en circulation a de quoi surprendre: plus de 1,5 million pour 370 000 propriétaires environ, alors que le pays ne compte que 9,2 millions d’habitants.
«À la campagne, il y a une forte culture de la chasse et du tir sportif», explique Aaron Karp, consultant auprès de Small Arms Survey, un centre de réflexion basé en Suisse. Avec les terres sauvages nordiques et balkaniques, giboyeuses elles aussi, l’Autriche figure parmi les États d’Europe comptant le plus d’armes légères en circulation par personne.
Et le fait que le célèbre pistolet Glock soit une fierté nationale n’est pas étranger à l’engouement, qui ne cesse de croître: on comptait moins de 900 000 armes en 2015, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. «Depuis vingt ans, le populisme de droite fait peur aux gens» sur l’insécurité et au fil des attaques terroristes ou des conflits dans le monde, «chaque crise fait exploser les ventes», explique le commerçant Markus Schwaiger.
L’Autriche figure pourtant parmi les dix pays les plus sûrs du monde, d’après l’Indice mondial pour la paix (Global Peace Index). Le drame de mardi, quand un ancien élève de 21 ans a ouvert le feu dans une école de la ville de Graz avant de se suicider, était une première: le taux d’homicide y est particulièrement faible. Mais une étude parue en ligne en 2020 dans la revue European Psychiatry le démontre: le nombre de morts violentes augmente en même temps que celui des armes.
Pour intégrer l’Union européenne en 1995, l’Autriche avait dû encadrer leur mise en vente, ce qui avait fait baisser les décès… jusqu’à la crise financière de 2008. Car selon cette étude, l’effet positif de la réforme semble avoir été «contrebalancé par le ralentissement économique mondial» qui a renforcé l’anxiété générale et donc la tendance à acheter des armes.
Le tueur avait acheté légalement ses armes
«Après un acte aussi insensé, il faut des changements», a estimé vendredi le ministre de l’Intérieur Gerhard Karner, en écho à d’autres responsables politiques. Actuellement, toute personne âgée de plus de 21 ans sans casier judiciaire peut acheter des revolvers après s’être pliée à une évaluation et doit faire enregistrer son arme. «Les normes de tests psychologiques» pour attribuer les licences sont «très bonnes», estime l’expert Aaron Karp. Mais encore faut-il qu’elles soient correctement mises en œuvre. À sa majorité, le tireur de Graz avait été reconnu «inapte» au service militaire après avoir échoué aux tests psychologiques, ce qui ne l’a pas empêché de se procurer légalement des armes. «Il a manifestement trouvé un armurier et un psychologue ayant pris cela très à la légère», déplore Markus Schwaiger. «Il y a encore trop de marge de manoeuvre».
De possibles manquements qui font la Une des journaux et alimentent la discussion. En mai, les écologistes, dans l’opposition, avaient déposé un projet pour durcir la loi. C’est la tendance générale en Europe, où les lignes bougent après chaque tuerie. Les autorités autrichiennes veulent consulter la France, la Suède et la République tchèque, qui ont hélas de l’expérience en la matière. Hors de question pour l’extrême droite, première force politique du pays, qui milite au contraire depuis des années pour une vente plus libre.
Et les considérations économiques n’incitent pas le parti conservateur, au pouvoir avec les sociaux-démocrates et les libéraux, à entraver la production. Aaron Karp plébiscite le «stockage sécurisé», pour que les membres de la famille «ne puissent pas accéder sans permission aux armes». «Mais il existe des différences culturelles et chaque pays doit tracer son propre chemin», dit-il.