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[Théâtre] Le saut dans le vide d’Antoine Colla


(Photo : bohumil kostohryz)

Homme à tout faire du Centaure, Antoine Colla profite du Fundamental Monodrama Festival pour réaliser sa toute première mise en scène. Sa pièce ouvrira même la prochaine saison de son théâtre préféré.

Il n’est pas rare quand on arrive dans les coulisses du Centaure de le voir s’activer, toujours occupé à une tâche, sautant du décor à une grosse console derrière laquelle il gère les lumières, le son et parfois la vidéo. Comme si ça ne suffisait pas, il s’occupe aussi du public. «Accueil et technique». C’est son statut, comme le stipule le site du théâtre, bien qu’il dépasse cette attribution depuis presque une quinzaine d’années.

Antoine Colla a sa propre définition : «Je ne suis pas un spécialiste, mais je sais comment fonctionne un plateau. J’en connais chaque aspect», dit-il. C’est sa curiosité et sa volonté qui l’ont amené là. Son sens pratique aussi : «Comme je n’ai pas deux mains gauches, je m’en sers!», rigole-t-il. C’est d’abord Marja-Leena Junker qui l’a vu s’agiter et grandir alors qu’il était encore étudiant en Belgique et comédien en France. C’est sa successeure à la direction, Myriam Muller, qui va l’embaucher et le prendre sous son aile.

Il ne regrette rien. «Jouer, ça m’a rapidement fatigué. Cette logique de trouver des projets, de se vendre, de créer des personnages…» Lui préfère l’ombre à la lumière, et soutenir les artistes auprès desquels il «apprend, se nourrit, évolue», tout en gardant intacte «sa passion pour le théâtre». Aujourd’hui, il dénombre plus d’une centaine de pièces qu’il a épaulées, de près ou de loin.

De quoi susciter de régulières interrogations. Toujours la même en fait : c’est pour quand la mise en scène? «Pour moi, ce n’est pas une suite logique, l’étape obligatoire d’un assistant, une finalité en soi», se défend-il. Car, pour lui, être aux manettes d’une pièce, c’est d’abord avoir «une histoire à raconter». Si dans son for intérieur, il savait qu’un jour, il sauterait le pas, le déclic est arrivé récemment par l’entremise de celle qui partage sa vie depuis cinq ans, la chorégraphe et danseuse Rhiannon Morgan.

Du spleen, de la danse et de l’accordéon

D’emblée, cette dernière, qui loue depuis longtemps «son point de vue et sa sensibilité» qu’il a mis à la disposition de ses spectacles et de ceux des autres, plaisante : «Oui, ça mijote depuis pas mal d’années!» Il y a deux ans, elle participe une première fois au Fundamental Monodrama, dont la forme et la philosophie lui plaisent : «C’est un festival sans trop de pression, qui donne la chance aux nouveaux créateurs de se lancer», précise-t-elle. Un «laboratoire» ou un «tremplin», c’est selon, qui devient une aubaine quand on lui propose d’y revenir.

Plutôt que de porter une nouvelle fois un projet, elle se tourne vers son compagnon. Surpris, Antoine Colla se donne quinze jours pour y réfléchir, et surtout trouver un thème porteur. Ce sera le vide émotionnel, ces moments d’apathie et de spleen que l’on connaît tous, parfois jusqu’au trop-plein. Il en a fait la douloureuse expérience : son meilleur ami s’est suicidé, et encore aujourd’hui, autour de lui, ces personnes qui «n’ont plus envie d’avancer», comme fatiguées de la vie, ne sont pas des cas isolés.

Pour arriver à ses fins, deux solutions s’offrent à lui : se reposer sur une œuvre existante ou tout faire lui-même. De retour d’un séjour artistique à Paris, Rhiannon Morgan revient avec deux livres : La Force du coquelicot de Lydia Cherton, et La Compagne de Cecilia Ferreira. Mais ça ne colle pas. Antoine Colla n’a pas d’autre choix que d’inventer une histoire de A à Z qui, selon ses souhaits, prendra forme sur le plateau.

Après quatre mois d’écriture, il a sous la main «un embryon de texte» qui va se nourrir ensuite, notamment en résidence, des visions et des expériences de ses deux interprètes : l’accordéoniste de «haut niveau» Servane Io Le Moller – qui jouera en direct – et sa concubine, la meilleure, selon lui, pour «transmettre des émotions rien qu’avec le corps». Dans ce cadre «amical et démocratique», la pièce se trouve vite un nom (Requiem for a Clown) et une forme définitive «semi-réaliste», aboutissement d’un rigoureux travail de coupes et d’ajustements.

La technique de la barbe à papa

Alors que la première représentation à la Banannefabrik, prévue ce dimanche, est quasi complète, et que tout est sur les rails, au point de fignoler les détails, Antoine Colla s’étonne de son efficacité : «Finalement, ça a été plutôt simple de les faire jouer ensemble. En même temps, la mise en scène ne m’a jamais fait si peur que ça. Par contre, donner un de mes textes à voir au public, ça m’angoisse plus, ça me met dans une position de fragilité.» Et même si sa pièce, grâce au travail d’équipe, a pris des accents plus universels, le choix d’imaginer un personnage fictif – un «enfant maudit» oublié des fées, condamné à manger de la barbe à papa – lui permet de préserver son «intimité». Il doit aussi se rassurer en se disant qu’il n’est pas le seul à se réinventer, puisque Rhiannon Morgan se lance ici dans son premier long monologue. «C’est une grande étape de pouvoir assumer un texte d’une telle ampleur», reconnaît-elle.

Si la danseuse, selon ses dires, doit encore «améliorer son coup de poignet» pour faire de la barbe à papa comme à la fête foraine («ça paraît pourtant facile à faire!»), la malédiction s’arrête là. En effet, Requiem for a Clown, soutenue au départ uniquement par le Monodrama Festival, a reçu l’appui du Centaure, devenu au fil du développement de la pièce le producteur principal. Ce qui a permis à Antoine Colla de lui donner plus de corps, nécessaire pour une œuvre aussi «abstraite», en s’adjoignant notamment les services de Sophie Van den Keybus pour le décor et les costumes. Mieux : alors qu’il ne s’y attendait pas, sa création lancera la saison 2025/2026 de son théâtre favori ou, comme il dit, son lieu «de vie, de passion», son deuxième chez-lui. Mais alors, qui va s’occuper de tout le reste à la rentrée? «Moi, évidemment, lâche-t-il dans un rire. Je vais faire la totale!» On ne se refait pas.

«Requiem for a Clown»
Dimanche à 20 h.
Banannefabrik – Luxembourg.

Monodrama Festival

Un lieu unique, dix jours, dix pays, quatorze spectacles, dont neuf créations : voilà, en chiffres, la jolie carte de visite du Fundamental Monodrama Festival, qui fête cette année sa quinzième édition. Initié et développé par son directeur, Steve Karier, le rendez-vous s’articule autour de seuls en scène, qui prennent ici de multiples formes (danse, théâtre, performance) et se conjuguent en plusieurs langues. Outre des invités de différents horizons (Burkina Faso, Jordanie, Grèce, Croatie…), les surprises se retrouvent aussi parmi les représentants locaux. Si Anne Brionne s’éloigne des projecteurs et met en scène son acolyte Valérie Bodson (Tu connais Dior?), la pièce Falsch Beweegungen verra les premiers pas de Serge Tonnar dans l’univers de la danse, assisté par son fils Luka (notamment au son). Safourata Kaboré, Magaly Teixeira, Benjamin Verdonck ou encore Lana Nasser complètent la nouvelle proposition, toujours à l’aise, même en solitaire!

Dès ce soir et jusqu’au 22 juin.

www.fundamental.lu

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