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[Série] «The Last of Us II» : les ronronnements de l’apocalypse


(photo dr)

En 2023, une malédiction est tombée : celle qui dit qu’adapter un jeu vidéo à l’écran est généralement catastrophique. Le cinéma et la télévision, les yeux rivés sur cette industrie hautement lucrative et au vaste potentiel narratif, peuvent dans ce sens remercier The Last of Us qui, en une saison, a fait tomber dans l’oubli les navets d’Uwe Boll et d’autres adaptations confrontées à un problème récurrent : le fait de rester coincé entre deux univers, filmique et ludique, sans que l’un ou l’autre n’y trouve son compte.

La série fait ainsi mentir la tradition pour devenir, aux yeux de beaucoup, la meilleure transposition de tous les temps, chiffres à l’appui : en 2013, le jeu de Naughty Dog s’était vendu à plus de 37 millions d’exemplaires et, dix ans après, le neuvième et dernier épisode a été regardé par 8,2 millions de téléspectateurs outre-Atlantique.

Un succès qui peut se définir par plusieurs éléments : déjà par la bonne idée qu’a eue HBO d’embaucher Neil Druckmann, l’un des créateurs originaux. Ensuite par le fait que la chaîne ait respecté la forme et la tonalité de l’œuvre, dystopique et émotionnelle. C’est un fait, mais The Last of Us ressemble moins à une énième réalisation sur les morts-vivants ou de la veine survivaliste (genre Walking Dead) qu’à une version de La Route de Cormac McCarthy.

Optant pour les temps morts, la déambulation et la réflexion, au détriment des flingues et des coups de poing, la série permet de mieux servir le propos, à savoir interroger la complexité de l’homme poussé dans ses derniers retranchements, sa sauvagerie, son animalité face à son besoin d’amour et de solidarité. Avec au milieu l’éternelle question : qui est le vrai monstre ? La bête ou l’humain ? L’infecté ou ceux qui essayent d’y réchapper ?

 

Mais ce n’était qu’une première pierre à un large édifice, et l’heure est désormais à la confirmation, moment où le destin de beaucoup d’œuvres se joue, avec une seconde saison plus ramassée (7 épisodes) dévoilée au compte-gouttes depuis la mi-avril. Elle reprend là où la première s’était arrêtée : un mensonge qui lie les deux héros principaux, Joel et Ellie. Cette dernière, seule immunisée connue, aurait pu sauver l’humanité tout entière, à condition de se sacrifier pour produire un sérum.

Chose à laquelle le premier s’est refusé, n’imaginant pas perdre sa fille de substitution (après avoir déjà fait le deuil de son véritable enfant). On les retrouve cinq ans après, en sécurité dans la ville fortifiée de Jackson (Wyoming). Mais le passé est tenace, et quand celui s’est construit sur la violence et la trahison, il faut s’attendre à un retour de bâton, plus brutal encore que le monde qui les entoure, fait de guerres claniques et de bestioles repoussantes.

Les gameurs le savaient d’avance : reprendre le second jeu, son récit fragmenté, ses héros guidés par la haine, ses émotions à fleur de peau et ses longues errances, n’allait pas être une mince affaire. Ils ne se sont pas trompés, et là encore, la courbe de l’audience appuie l’observation : l’épisode final n’attira «que» 3,5 millions de téléspectateurs. Ce qui ne veut pas dire pour autant que tout est à jeter.

La série, sûrement trop courte, fonce tête baissée

En effet, la qualité visuelle est toujours soignée et, qu’on les apprécie ou pas, les deux acteurs principaux, la star Pedro Pascal et sa partenaire d’infortune Bella Ramsey (tous deux visibles dans Game of Thrones, que The Last of Us rappelle sans le vouloir avec ses monstres et ses paysages enneigés), font le boulot, tout comme d’autres secondaires (notamment Isabela Merced dans le rôle de la bonne copine Dina).

Sont-ils toutefois à la hauteur de leur doubles numériques? Non. Car la série, sûrement trop courte, fonce tête baissée, oubliant que son modèle, lui, prend son temps pour poser la psychologie de ses personnages et les faire adorer, ou détester, des joueurs.

Quant à ceux qui sont passés à côté de la console, ils devront se contenter de deux épisodes marquants (le deuxième, à haute intensité dramatique, et le sixième, tout en flashbacks), le reste étant souvent trop simpliste ou trop brouillon, à l’image du survol des différents groupes qui s’affrontent sans pitié dans les rues de Seattle (FEDRA, WLF, Scars). Pire, la démonstration prend parfois des accents naïfs, comme ces répétitions autour du symbole de la guitare ou la rébellion de l’héroïne, postadolescente aux posters de Nirvana collés aux murs de sa chambre.

À ce propos, où est donc passée la Ellie du second jeu, figure sombre, vengeresse froide et homosexuelle assumée ? Sûrement pas ici, tellement sa personnalité est lissée. Sans dire que The Last of Us II est loupée, gageons toutefois que Neil Druckmann et Craig Mazin redresseront la barre avec une troisième saison qui, d’ores et déjà fixée pour dans deux ans, s’intéressera au personnage d’Abby, le dernier chaînon manquant de l’histoire.

Dans le cas contraire, comme beaucoup avant elle, la série laissera un goût d’inachevé et cette idée persistante que le jeu vidéo et ses adaptations filmiques ne sont décidément pas faits pour s’entendre. En somme, une énième promesse non tenue.

 

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