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[Musique] Le jazz comme dernier espoir


(photo dr)

Keith LaMar est un condamné à mort américain qui clame son innocence. Depuis 2020, il a le soutien d’un pianiste de jazz, Albert Marquès. La semaine dernière, un second disque de cet inédit duo est sorti. La suite d’une étonnante histoire.

La musique pour espérer échapper à la mort… Le pianiste de jazz catalan Albert Marquès a noué une collaboration inédite avec l’Afro-Américain Keith LaMar, condamné à la peine capitale, dans l’espoir d’un jour le faire sortir des couloirs de la mort. Ce duo inédit, formé d’un musicien qui multiplie les tournées (notamment aux États-Unis, en Amérique du Sud et en Europe) et d’un autre qui joue par téléphone depuis une prison à haute sécurité de l’Ohio, a présenté le week-end dernier, lors d’un concert à New York, son second opus Live from Death Row, disponible sur les plateformes de streaming.

La sortie de cet album, qui se veut un voyage à travers les luttes du mouvement des droits civiques aux États-Unis, coïncide avec le 56e anniversaire de Keith LaMar qui n’a pas connu la liberté depuis 37 ans. Ce dernier est en effet en prison depuis l’âge de 19 ans pour le meurtre d’un ami toxicomane qui, sous la menace d’une arme, voulait lui voler du crack.

Condamné à 18 années de réclusion et incarcéré à la fin des années 1980, il est condamné à mort en 1995 pour le meurtre de cinq codétenus lors d’une émeute déclenchée deux ans auparavant par des prisonniers musulmans qui avaient refusé de se soumettre à un test de tuberculose car le sérum contenait de l’alcool. Les violences, durant 11 jours, avaient fait dix morts, dont un gardien de prison de l’Ohio.

Le «sauveur» John Coltrane

L’album, qui suit un premier, Freedom First sorti en 2022, comprend des compositions d’Albert Marquès doublées des paroles de Keith LaMar, tout en revisitant des classiques dénonçant les violations des droits fondamentaux des Afro-Américains, comme le célèbre Strange Fruit de Billie Holliday ou encore Alabama de John Coltrane. Keith LaMar a toujours reconnu que la musique, et plus particulièrement le jazz, avec entre autres des albums comme A Love Supreme de John Coltrane, lui avait «sauvé la vie» pendant toutes ces années d’isolement pénitencier.

«J’ai été frappé par le fait qu’il disait que John Coltrane lui permettait de rester sain d’esprit», disait il y a quelques mois le pianiste, qui a découvert l’histoire de Keith LaMar en 2020 en s’installant à New York et en tombant sur son récit autobiographique, Condemned : The Whole Story, dicté au téléphone à son éditeur et publié quelques années auparavant. Depuis, le pianiste s’est associé à l’organisation «Justice pour Keith LaMar», qui lutte pour sa libération et organise des concerts baptisés «Freedom First» depuis 2021, année du premier donné à Brooklyn.

«Un rêve impossible»

«Cette musique parle de confiance et de foi», souligne Keith LaMar dans un courriel. «Elle parle de faire un pas en avant même quand on ne voit pas les marches devant soi, de croire que ses pieds trouveront un point d’appui solide.» «J’adore quand les étoiles s’alignent pour réaliser un rêve qui semblait a priori inaccessible. C’est ça, cet album live : un rêve impossible» qui se réalise, ajoute-t-il. En somme, rêver pour ne pas sombrer.

Après avoir donné des concerts dans le monde entier ces dernières années et «prouvé que nous avons fait tout ce que nous pouvions, nous avons besoin d’aide» pour porter le combat «à un autre niveau», dit Albert Marquès, également professeur de musique dans un lycée de Brooklyn.

«Nous sommes peut-être fatigués, épuisés, mais nous ne pouvons pas baisser les bras», ajoute-t-il, convaincu de l’innocence de Keith LaMar à qui il a rendu visite à plusieurs reprises en prison. «Les concerts créent une empathie qui incite parfois certaines personnes à s’impliquer», espère le pianiste et compositeur. Reconnaissant que «le pouvoir de la musique n’est pas plus grand que celui d’un juge», il assure toutefois qu’elle peut «ouvrir des chemins».

«Coupable» dans un «pays raciste»

Les avocats de LaMar soutiennent que des preuves à décharge ont été dissimulées et détruites pendant son procès, et que d’autres détenus ont bénéficié de remises de peine afin de pouvoir l’accuser, lui, après son refus de servir de délateur. Dans un pays dont l’histoire montre que nombre d’erreurs judiciaires frappent en majorité des Afro-Américains, Keith LaMar réclame la réouverture de son dossier, entaché selon lui d’irrégularités. «Quand on est pauvre et noir dans un pays raciste, on plaide coupable», avait-il affirmé en 2022.

Son exécution était prévue le 16 novembre 2023, mais a été repoussée au 13 janvier 2027, report attribué par les autorités de l’Ohio à l’incapacité d’obtenir des compagnies pharmaceutiques la substance pour l’injection létale. À l’époque, il avait fêté ses trois années de répit supplémentaires avec la chanson The Journey.

Mais cette nouvelle échéance pourrait être avancée en raison d’un décret signé par le président, Donald Trump, à son retour au pouvoir en janvier. Le milliardaire républicain a exhorté la justice à «prendre toutes les mesures nécessaires et légales» afin de garantir l’approvisionnement des États pour des injections létales des condamnés à mort comme Keith LaMar.

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