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Gilles Estgen : «L’œnotourisme est sous-estimé»


Les œnotouristes étant trop souvent que de passage en Moselle, Lex Delles, ministre de l’Économie, souhaite qu’ils passent au moins une nuit dans la région. (photo Julien Garroy)

Un processus de réflexion collaboratif a été lancé ce mercredi 28 mai à Grevenmacher par les ministères de l’Économie et de l’Agriculture afin d’aboutir à un plan d’action pour développer l’œnotourisme en Moselle.

«Il n’y a pas que des jolies photos à faire d’une région, il ne s’agit pas seulement de la voir mais il faut aussi goûter et vivre cette région.» Ces mots prononcés par Lex Delles, ministre de l’Économie, peuvent résumer l’ambition que lui et le gouvernement portent sur la région mosellane. À Grevenmacher mercredi, il a conjointement présenté avec Martine Hansen, ministre de l’Agriculture, le lancement d’un processus d’élaboration d’un nouveau concept afin d’exploiter au mieux la richesse touristique de la Moselle luxembourgeoise : ses vignobles.

L’œnotourisme n’a rien de nouveau dans le coin pour autant. Citons par exemple «Via mosel’», le programme du GEIE Terroir Moselle où sont réunis depuis 2018 des acteurs du milieu viticole, touristique, et institutionnels des trois pays frontaliers afin de promouvoir la viticulture. Lancée six ans auparavant, l’ORT Région Moselle luxembourgeoise met également à l’honneur le vin du terroir, tout comme les vignerons qui, pour beaucoup, ont un bar à vin pour accueillir et faire déguster les touristes.

Néanmoins, tout cela s’avère insuffisant pour le ministre de l’Économie : «Il faut avoir plus de personnes qui viennent pour l’œnotourisme parce que c’est une carte de visite et que le vin et les vignerons sont des ambassadeurs directs pour toute une région».

Attirer et garder les touristes

«Les gens reconnaissent la valeur œnotouristique du Luxembourg mais l’enjeu est de les garder», admet Lex Delles. Parmi les touristes ayant au moins passé une nuitée au Luxembourg en 2023, 132 000, soit 11 % d’entre eux, ont participé à au moins une activité œnotouristique. Pour les touristes de passage seulement, le pourcentage s’élève à 13 % et représente près de 360 000 personnes. L’enjeu serait donc de convertir ces visiteurs d’un jour en touristes qui consomment et se logent dans la région durant quelques jours.

Afin d’y parvenir, les deux ministres misent sur un processus collaboratif avec les vignerons, l’ORT, les syndicats d’initiative, les structures d’hébergement, les restaurants et les communes. «C’est un travail d’envergure pour rassembler tous les acteurs autour de la table et se dire : « On veut aller dans cette direction« .» Officiellement lancée mercredi dernier, la réflexion commune va s’étaler jusqu’en décembre prochain.

Dans «ce laps de temps court pour travailler rapidement», la première phase concerne des entretiens exploratoires avec des acteurs clés et des ateliers participatifs prévus en juin. En août et septembre auront lieu une évaluation et synthèse des contributions récoltées, ainsi qu’une définition d’axes de travail. De nouveaux entretiens et ateliers se dérouleront en octobre avant de valider un plan d’action pluriannuel en novembre, dont la présentation aura lieu en décembre.

Pallier la baisse des ventes

En sa qualité de président de l’ORT Région Moselle, Gilles Estgen est le cerveau de l’opération pour le gouvernement. Ce dernier a été nommé coordinateur général du processus «par mon historique, car j’étais déjà de la partie pour la première stratégie œnotouristique en 2012 et puisque je connais le secteur». Grâce à son réseau, sa mission sera jusqu’à décembre «de rassembler les gens, de voir les sensibilités et de comprendre les réalités du terrain».

À ses yeux, il est clair que le potentiel de la viticulture n’est pas assez exploité : «Il me semble que l’œnotourisme est sous-estimé, il faut le développer dans les esprits». Les vignerons ont autant à gagner du tourisme que l’inverse selon lui. D’autant plus que l’Organisation internationale du vin a annoncé le 16 avril dernier que la consommation mondiale a atteint en 2024 son plus bas niveau depuis 1961.

«Les touristes ont changé, les domaines ont changé, les habitudes ont changé alors il faut naturellement adapter la stratégie en conséquence.» La parade aux baisses de ventes pourrait donc se trouver dans le tourisme, en prenant comme exemple la France ou de l’Autriche où l’«on fait une belle dégustation, on rencontre le vigneron, on a un super séjour dans un domaine puis, le lendemain, on prend sa commande et on rentre chez soi».

Le coordinateur estime que le futur plan devrait donc porter sur des améliorations en matière de mobilité, d’hébergement, d’accueil et de lieux insolites pour la dégustation. Une fois chose faite, les œnotouristes devraient trouver leur bonheur dans une région à fort potentiel. «Tout est là», affirme Gilles Estgen qui cite «le produit mais aussi la beauté de la région, les forêts, les bons restaurateurs, le parc naturel de Remerschen ou encore Schengen».

 

«Il faut encore plus ouvrir les domaines»

Vigneron à Ahn dans le domaine viticole Max-Lahr, Bob Max était présent lors de la présentation du processus à Grevenmarcher et nous donne son avis sur la situation.

Que pensez-vous de l’élaboration d’un nouveau plan pour l’œnotourisme ?

Bob Max : Nous constatons qu’il y a beaucoup de touristes et d’étrangers qui habitent ou travaillent au Grand-Duché qui sont très intéressés par les produits luxembourgeois. Ils viennent le week-end, font une petite promenade autour de la Moselle puis ils vont voir des vignerons pour essayer des produits ou boire un coup sur une terrasse.

Le problème, c’est que beaucoup de gens déplorent que de nombreux domaines sont fermés les week-ends. J’ai fait l’expérience avec d’autres régions comme l’Alsace où vous pouvez vous balader dans les villages pittoresques et tous les vignerons qui ont un caveau sont ouverts. Ici, ce n’est pas assez exploité. Les portes sont souvent fermées et c’est dommage, car sinon les gens n’ont aucun contact avec le vin luxembourgeois, sauf au supermarché ou peut-être dans la gastronomie. Mais cela n’est pas suffisant.

Le but est d’attirer plus de touristes, mais le vin luxembourgeois est-il assez connu pour cela ?

Cela dépend des régions. En Allemagne, il y a des régions où le vin luxembourgeois est bien connu mais d’autres où ils ne connaissent que le Luxembourg pour l’argent, pas le vin. En Belgique, en France, en Suisse ou en Italie c’est pareil, il n’est connu qu’à certains endroits.

Le problème de notre région, c’est qu’elle est petite. Nous n’avons pas autant de possibilités que des régions comme Bordeaux ou l’Alsace qui ont plus de potentiel mais surtout plus de publicité, plus de budget. Maintenant, ils ont compris qu’il faut aussi augmenter les budgets pour créer des structures et des chambres d’hôtes.

Avez-vous ou comptez-vous faire une chambre d’hôtes ?

Nous n’en avons pas, mais nous en avons déjà discuté et le problème c’est que nous n’avons pas le temps pour cela. Tous les week-ends déjà, notre jardin et notre salle de dégustation sont ouverts. Et dans la semaine, nous n’avons pas assez de temps libre. Leur préparer le café le matin, c’est de trop pour nous alors que la personne qui s’occupe des gens doit être disponible et communicative. Ce n’est pas un hôtel.

Êtes-vous également confiant pour le développement de l’œnotourisme ?

Si l’on commence à mettre en place plus de projets comme le bateau Princesse Marie-Astrid, je pense que cela va bien avancer dans le futur. Mais il faut encore plus ouvrir les domaines parce qu’ils ne viennent pas de Hambourg juste pour acheter six bouteilles. Il y a trop de route, sauf s’ils viennent un week-end ou pour les vacances.

Recueilli par M. K.

Bientôt une maison et un magasin du vin

Comme promis par l’accord de coalition, le gouvernement s’attèle à terminer la «Wäinhaus» (Maison du vin) à Ehnen, au cœur de la Moselle, afin de faire coïncider son ouverture avec le futur plan d’action pour l’œnotourisme.

Lex Delles l’a confirmé : «Son inauguration devrait avoir lieu l’an prochain». L’objectif est de faire de cet ancien musée du vin «la première adresse de l’œnotourisme au Luxembourg» grâce à une exposition, une salle de banquet, un bistrot et un espace dédié aux conférences et ateliers pédagogiques.

Une réflexion est également en cours afin d’établir un «wine shop dans la capitale», sorte de lounge à vins combiné à un point de vente de produits régionaux.