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[Festival de Cannes] Une Palme d’or pour Jafar Panahi… et le Luxembourg


Les actrices Cate Blanchett et Juliette Binoche, présidente du jury, ont remis le trophée à Jafar Panahi. (Photo : afp)

Le cinéaste iranien Jafar Panahi a reçu la Palme d’or au Festival de Cannes pour son film Un simple accident, brûlot politique coproduit au Luxembourg et tourné en clandestinité, envoyant à ses compatriotes un message pour «la liberté».

«Mettons tous les problèmes, toutes les différences de côté», a lancé aux Iraniens Jafar Panahi, 64 ans, qui a pu se rendre à Cannes pour la première fois depuis 15 ans. «Le plus important en ce moment, c’est notre pays et c’est la liberté de notre pays», a-t-il ajouté après avoir reçu son trophée, décerné par l’actrice australo-américaine Cate Blanchett et la présidente du jury, la comédienne française Juliette Binoche. C’est la première fois qu’une coproduction luxembourgeoise reçoit la Palme d’or.

Thriller moral auscultant le dilemme d’anciens détenus tentés de se venger de leur tortionnaire, Un simple accident s’en prend très directement des forces de sécurité iraniennes. C’est aussi une réflexion sur la justice et la vengeance face à l’arbitraire. Panahi, qui a connu la prison à deux reprises en Iran, pays dont il ne pouvait pas sortir jusqu’à récemment, a promis de rentrer après Cannes malgré les risques de représailles. Nul ne sait quel sort lui réserveront les autorités en réaction à son onzième long-métrage.

Son film a été réalisé dans la clandestinité, le cinéaste se refusant à demander les autorisations pour tourner. Au mépris des lois de la République islamique, plusieurs de ses actrices apparaissent sans voile. Avec cette coproduction entre la France, l’Iran et le Luxembourg (Bidibul Productions), Jafar Panahi est le deuxième Iranien à remporter la Palme après Abbas Kiarostami pour Le goût de la cerise (1997). L’an dernier, la récompense avait échappé à un autre Iranien dissident, Mohammad Rasoulof, qui avait dû se contenter d’un prix spécial et est resté ensuite en exil. La Palme d’or était allée à Anora, de l’Américain Sean Baker.

Cette année, le palmarès ne compte aucun film américain, les grosses productions comme Eddington d’Ari Aster avec Joaquin Phoenix ou Die, My Love de Lynne Ramsay avec Jennifer Lawrence repartant les mains vides. Le jury, qui comptait également dans ses rangs les acteurs américains Halle Berry et Jeremy Strong, a privilégié des films plus en marge des grands circuits de l’industrie, ainsi que les jeunes talents.

Parmi eux, une révélation, Nadia Melliti. L’actrice française reçoit le prix d’interprétation à 23 ans seulement, et pour son tout premier rôle au cinéma dans La petite dernière, de sa compatriote Hafsia Herzi. Étudiante en sport et repérée dans un casting sauvage, elle a dit à Cannes s’être «beaucoup identifiée» à son personnage de Fatima, 17 ans, une jeune femme musulmane qui découvre son homosexualité. O Agente secreto, du Brésilien Kleber Mendonça Filho, 56 ans, repart avec deux prix : la mise en scène et l’interprétation masculine pour Wagner Moura, 48 ans, connu hors du Brésil pour avoir interprété Pablo Escobar dans la série Narcos. Le Grand Prix a été remporté par le Norvégien Joachim Trier pour le mélodrame Sentimental Value.

Le jury a également créé un prix spécial pour Résurrection, film-poème du Chinois Bi Gan, 35 ans. Un «OVNI d’une grande invention», a souligné Juliette Binoche. Le Franco-Espagnol Oliver Laxe, 43 ans, a reçu ex-aequo le prix du jury pour Sirat, plongée captivante dans une rave-party hallucinatoire et apocalyptique au pays de Mad Max, avec Sergi Lopez. Il le partage avec la réalisatrice allemande Mascha Schilinski, qui explore cent ans de traumas familiaux à travers le destin de quatre femmes dans Sound of Falling. Parmi les sept réalisatrices en compétition (sur 22 films), cette cinéaste de 41 ans est finalement la seule à avoir été primée.

Réalisateurs déjà parmi les plus récompensés de l’histoire de Cannes, avec deux Palmes d’or, les frères Luc et Jean-Pierre Dardenne, septuagénaires, sont repartis avec un nouveau trophée, le prix du scénario, pour Jeunes mères. Ils obtiennent ce trophée pour la deuxième fois, après Le Silence de Lorna (2008). Et pour un nouveau film social, sur un foyer de mères adolescentes en situation de précarité, au terme d’un 78e festival de Cannes à la tonalité politique.

L’événement a fait écho aux conflits au Proche-Orient et en Ukraine et a été marqué par des déclarations engagées, à commencer par la charge de l’acteur américain Robert De Niro contre le président de son pays, Donald Trump, lors de la cérémonie d’ouverture. Côté paillettes, la quinzaine a connu ses défilés de stars, de Denzel Washington à Tom Cruise, venu présenter le dernier Mission : Impossible, en passant par Scarlett Johansson, pour son premier film de réalisatrice, et Nicole Kidman.