Le Wort a interrogé un homme condamné en première instance pour des faits de pédocriminalité. Le choix de publier cet article est lourdement fustigé par des associations de victimes.
Dans un communiqué publié mardi, la Theater Federatioun dit avoir appris «avec effroi» les agissements pédocriminels (présumés) d’un ancien administrateur de la fédération regroupant les acteurs du monde théâtral luxembourgeois. Cet écrit a donné de l’ampleur à un procès qui s’est achevé, en mars, par la condamnation d’un homme à 13 ans de prison avec sursis partiel. Le tribunal l’a jugé coupable d’actes pédocriminels. Le prévenu a décidé d’aller en appel. Dans ce contexte, il est important de souligner que la présomption d’innocence reste d’application, en attendant un jugement en deuxième instance.
Vendredi, le Luxemburger Wort a publié un article dans lequel est donnée la parole au pédocriminel présumé. Nos confrères justifient leur choix par le souci de rendre «équitable» la couverture journalistique de cette affaire. L’objectif serait de permettre à la personne incriminée de prendre position par rapport aux faits qui lui sont reprochés et aux réactions des acteurs du monde culturel.
«Même si les actes (…) ont eu lieu exclusivement dans le domaine privé et ne sont aucunement liés (…) à ses diverses activités dans le secteur culturel ou théâtral, du fait de leur caractère extrêmement grave, énoncés sans la moindre atténuation ni modération, le conseil d’administration (…) condamne ces actes sans nuance et sans réserve», souligne notamment le communiqué signé par la Theater Federatioun.
Dans l’article du Wort, le pédocriminel présumé dit «commencer à craquer» et se sentir «persona non grata». La plateforme féministe JIF exprime «son incompréhension et sa profonde indignation» face au choix éditorial posé par le Wort. Offrir une page à cet homme ne servirait pas à «informer», elle lui permettrait de se «présenter comme victime».
«En publiant ce récit unilatéral, sans contradiction, sans perspective des victimes (qui, rappelons-le, sont encore mineures et ne peuvent pas s’exprimer publiquement), la rédaction fait un choix clair : donner toute la place médiatique à l’auteur présumé», renchérit la plateforme, qui dénonce «une manière persistante de traiter les violences sexuelles comme de simples faits divers, destinés à choquer ou à créer du « contenu », plutôt qu’à informer avec rigueur, empathie et responsabilité». L’angle du «voyeurisme ou du sensationnalisme» serait privilégié au récit des victimes.
Le monde théâtral prend aussi position
D’une manière plus globale est dénoncée la «victimisation des agresseurs». Ce «renversement des rôles» serait «d’autant plus insupportable lorsqu’il est relayé par des médias puissants, sans regard critique».
L’association La Voix des Survivant(e)s – qui se dit «stupéfaite» et «consternée» – va dans le même sens : «Dans cet article, l’auteur des faits renverse totalement la situation : le problème pour lui ne semble pas être les faits, puisqu’il n’a pas un mot pour la souffrance des victimes (…); son problème est le lynchage médiatique dont il fait l’objet (…)».
«Si nous tenons à réagir (…), c’est au nom de toutes les victimes passées et à venir de pédocriminels dont les vies auront été sacrifiées par des personnes telles que cet individu», reprend le communiqué de l’association, qui souligne en outre qu’«offrir à cet individu une tribune qui lui permet de se présenter comme victime, sans le mettre face aux contradictions de son discours, ajoute de l’indécence au crime.»
La Theater Federatioun a également tenu «à faire part de toute sa solidarité envers les victimes, qu’elles soient proches ou lointaines, directes ou indirectes». Elle a été rejointe, vendredi, par Zaltimbanq Zirkus, autre ASBL où le pédocriminel présumé était membre du comité. «Nous tenons à exprimer notre profonde consternation et notre solidarité envers les victimes», est-il souligne dans un communiqué.
Zaltimbanq Zirkus précise aussi que cet ancien membre du comité – avec lequel «tous les liens sont aujourd’hui rompus» – n’a «jamais donné cours aux enfants au sein de notre association».