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[Théâtre] «Vidéo Club» : souriez, vous êtes filmés!


Le TOL ausculte les non-dits de la vie à deux en suivant un couple qui découvre qu’il est espionné à son insu. Ou quand les petits secrets du quotidien deviennent des bombes à retardement.

Depuis les coulisses du TOL, en dehors d’un étrange costume de singe qui pend innocemment à son cintre, on découvre Joanie Rancier, scénographe et décoratrice, apportant un dernier soin à la scène, en équilibre sur un escabeau. On pénètre alors dans une cuisine d’un blanc éclatant. Moderne, quadrillée, aseptisée. Son esthétique est minimaliste.

Rien n’y dépasse car tout est à sa place, à l’image du couple qui l’arpente. Voilà vingt-cinq ans que Justine et Jean-Marc partagent leur vie. De l’extérieur, le tandem semble être à l’épreuve du temps, certes un peu rouillé et ronronnant dans ses manies de tous les jours. Mais debout. Cela dit, comme le vaudeville le montre régulièrement, il suffit d’un sucre sur la dent cariée pour envoyer valdinguer toutes les vérités, aussi enracinées soient-elles.

Ici, toutefois, pas d’amant dans le placard, mais un simple courriel anonyme contenant un petit film. Stupéfiés, ils découvrent alors qu’une webcam les filme dans leur quotidien, entre la poire et le fromage!

Vidéo après vidéo, leurs mensonges et leurs petites mesquineries leur éclatent à la figure… Pour l’auteur et dramaturge français Sébastien Thiéry, la présence de la caméra, bien que centrale à sa pièce, n’est qu’un prétexte pour questionner la complexe mécanique du couple, à travers une question à double ressort : est-ce que certains secrets doivent rester dans l’ombre ? Faut-il tout cacher à l’autre, ou au contraire, tout montrer, même ce qu’on préférerait taire ? Au delà d’une réponse, en préambule, un constat asséné par la comédienne Colette Kieffer : «La vie à deux, c’est un beau bordel et un sacré challenge !».

Question de génération

Écrite en 2023 et incarnée par Noémie Lvovsky et Yvan Attal, Vidéo Club a immédiatement plu à Pauline Collet. Au départ à la tête du projet, elle confie finalement les rênes à l’un de ses camarades de la Compagnie 22, Stéphane Robles, heureux d’hériter d’un texte «très ancré dans le présent», mais moins pour les contraintes sous-jacentes.

«Ça fait quinze ans que je fais du théâtre et je n’ai jamais eu une mise en scène aussi difficile!». La raison? La présence d’un écran géant sur lequel défilent sept vidéos (une en direct et six préenregistrées), ce qui réclame «de la préparation» et un casse-tête d’ordre technique. Nécessaire, toutefois, car sans ce dispositif, la pièce n’aurait pas la même saveur.

«En termes de dramaturgie, ça fonctionne parfaitement», soutient ainsi le metteur en scène, vite relayé par son assistant, Justin Pleutin : «C’est ce qui relance à chaque coup l’histoire!». Tant pis, alors, si le comédien Olivier Foubert n’aime pas voir sa tête à l’image…

Parfois acteur pour le cinéma, pour ce dernier, les références de la pièce sont évidentes : Mulholland Drive de David Lynch (2001), le polar en moins, mais également Caché de Michael Haneke (2005), sans le coté «politique» de l’œuvre.

Toute l’équipe acquiesce, notamment pour ce qui est du premier, auquel elle a emprunté les couleurs (surtout des «teintes orangées») et le climat anxiogène, comme l’explique Justin Pleutin : «On est dans une réalité avec quelque chose qui cloche, des dysfonctionnements… Ça tient de l’ordre du rêve, de l’illusion, de l’étrange. Et la paranoïa progressive s’ajoute à cette atmosphère étrange.» Sans oublier cette hallucination qui surgit au milieu de la pièce sans prévenir, confirmant le goût de son auteur pour l’absurde et le surréalisme.

Pour le reste, on est dans le concret. Ce n’est pas Colette Kieffer et Olivier Foubert qui vont dire le contraire, eux qui ont sensiblement le même âge que leurs personnages respectifs, fin quarantaine, début cinquantaine. Soit d’une génération «médiane», comme le définit le comédien, coincée entre la précédente, aux «rapports de force» entre homme et femme bien marqués, et la nouvelle, plus «égalitaire» du fait de l’évolution des genres qui rend obsolète le vieux schéma binaire.

Pour Stéphane Robles, plus jeune d’une quinzaine d’années, le couple qu’ils incarnent est «hétéronormé». Avec Justine, épouse «qui a soif de vérité», dixit Colette Kieffer, qui se demande si ce n’est pas elle, justement, qui a installé la caméra, «mis le scénario en place». Et lui, Jean-Marc, modèle «à l’ancienne» ou plutôt de son temps, «qui ne dit pas les choses pour épargner l’autre». «Il est d’une lâcheté sans nom!», bondit le comédien.

Amour universel

Au-delà de ces questions d’âge et d’époque, aux frontières assez poreuses – «moi aussi, je ne comprends pas tout et on peut parfois me considérer comme un boomer», souligne dans un rire le metteur en scène –, Vidéo Club s’intéresse particulièrement à une chose : «Comment l’humain réagit-il face à ses travers quand on lui tend un miroir? Comment il gère cela et le fait accepter à l’autre?».

C’est cette «recherche de solutions» qui rend d’ailleurs ce couple «touchant», affirme Olivier Foubert : «Oui, ils sont maladroits, mais il y a chez eux une volonté de retrouver de l’équilibre. C’est ça qui est beau!». Colette Kieffer abonde : «Ce qu’il y a d’universel dans cette histoire, c’est qu’il y a de l’amour!», dit-elle, précisant que de nombreux couples «vont s’y reconnaître». «C’est assez jouissif!».

Dans ce sens, le spectateur, ballotté entre complicité et malaise, se retrouve témoin involontaire de cette situation, celle  d’un couple mis à mal. Pour donner plus de poids à cette dérive des sentiments et au huis clos, Stéphane Robles et Justin Pleutin, en cinq petites semaines, se sont attachés à «chorégraphier» les mouvements des interprètes, d’abord «rigides et sclérosés» car calés sur le poids des habitudes, puis en roue libre au fur et à mesure que leur «quotidien se délite».

Une «partition corporelle» qui, en bout de course, va peut-être retrouver une cohérence et une stabilité, Sébastien Thiéry ayant volontairement laissé à sa pièce une fin ouverte. Le message est clair pour le metteur en scène : «Il s’agit de dédramatiser, de montrer qu’il n’y a pas une seule manière de vivre à deux.»

«Il y a autant de couples que de façons d’être en couple», conclut-t-il, avec une philosophie à destination de toutes et de tous : «Aimons-nous comme on a envie!».

La pièce

Mariés depuis vingt-cinq ans, Justine et Jean-Marc voient leur routine bouleversée, le jour où ils reçoivent un courriel anonyme contenant une vidéo et où ils découvrent, avec stupeur, qu’une mystérieuse webcam les filme dans leur quotidien. Qui a installé cette caméra et dans quel but ? Depuis quand sont-ils filmés à leur insu ?

À mesure que ces vidéos révèlent leurs mesquineries et leurs mensonges, le couple est secoué par l’effet de cette surveillance intrusive. Mari et femme vont rivaliser tour à tour de mauvaise foi pour justifier des vérités qui dérangent et qui n’auraient jamais dû surgir. Un couple peut-il résister à la transparence totale?

Première ce soir à 20 h. Jusqu’au 13 juin. TOL – Luxembourg. 

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