Prix excessifs, critères de sélection stricts, biens en mauvais état, résiliations de bail unilatérales : au Luxembourg, la pénurie de logements met les locataires sous pression.
Pour la première fois au Luxembourg – où près de 70% des ménages sont propriétaires – une équipe de chercheurs s’est intéressée aux expériences vécues par les locataires au moment de leur accès au marché, puis pendant la période de location, et à la fin du bail. C’est l’association de défense des intérêts des locataires, Mieterschutz, lancée en 2020, qui en est commanditaire.
Les résultats ont été présentés mardi à Belval, en présence du ministre du Logement, Claude Meisch, et révèlent des problèmes profonds. «Les points noirs que nous avons identifiés doivent servir aux futures politiques publiques», souligne d’emblée Lindsay Flynn, qui a dirigé cette recherche menée entre 2022 et 2023.
«Pour lister les défis auxquels sont confrontés les locataires, nous avons décortiqué leurs échanges avec Mieterschutz sur un an, impliquant 262 personnes, et en complément, nous avons discuté avec une trentaine de participants.»
Inaccessibilité financière
D’abord, concernant leur accès au marché, qui connaît de fortes tensions ces dernières années, les locataires disent ressentir une forte frustration. Plus de deux tiers pointent le prix comme obstacle principal, et ce, peu importe leur milieu social.
Rappelons que la part du revenu des ménages consacrée au logement atteint désormais 37% au niveau national d’après l’Observatoire de l’habitat, et culmine même entre 45 et 50% dans certaines communes du sud, selon la fondation Idea.

La moitié de locataires dénoncent aussi des critères de sélection excessifs et injustement pénalisant : «Les agences et les propriétaires passent au crible leurs revenus, mais aussi le type de leur contrat de travail ou la composition de leur famille, ce qui met les femmes seules avec enfants en difficulté, tout comme les personnes à faible revenu.» Certains participants rapportent des discriminations en fonction de leur nationalité, de leur religion, ou de leur ethnicité.
La faute à une population qui explose
Pour la professeure, cette dégradation des conditions d’accessibilité est une conséquence directe de l’explosion de la population. «Le Luxembourg construit plus et plus vite qu’ailleurs, donc le problème n’est pas la vitesse à laquelle on érige des immeubles, mais la vitesse à laquelle croît la population.»
De fait, malgré une hausse de 0,6% des nouveaux logements, le Grand-Duché reste encore en dessous de la moyenne de l’UE, avec seulement 387 logements disponibles pour 1 000 habitants en 2020, contre 400 en 2011.

Les jeunes expatriés ou les personnes avec une bonne situation ont aussi des difficultés à trouver un logement et à le garder. (Photo : Adobe Stock)
Durant la période de location du bien, un locataire sur cinq dénonce de mauvaises conditions de logement, incluant humidité, moisissures, soucis de chauffage, problèmes de structure, fuites ou inondations.
«65% ont rencontré l’un de ces problèmes, 26% deux et 9% trois ou plus», précise Lindsay Flynn. «Ce qui entraîne une grande angoisse quant aux effets négatifs sur la santé, celles des enfants du ménage en premier lieu.»
Les propriétaires en position de force
La relation de pouvoir établie entre les deux parties peut expliquer une «non-réponse» du propriétaire aux demandes d’entretien ou de réparation, tandis que le locataire peut hésiter à les solliciter par crainte de voir son bail résilié.
Une locataire déplore ainsi l’immobilisme de sa propriétaire pour effectuer des travaux sur la terrasse alors que le salon prend l’eau à chaque averse.
«Je lui ai demandé cinq fois d’agir. J’ai découvert que le problème datait de plusieurs années et qu’elle continuait simplement de le louer dans cet état. J’ai fini par partir.»
«J’ai peur d’insister»
Faute de moyens, un autre locataire doit supporter des fuites et de l’humidité, avec une odeur nauséabonde. «Le propriétaire dit que ça n’est pas son problème. J’ai peur d’insister, car je ne peux pas perdre mon logement.»
La question de la hausse du loyer revient régulièrement dans les discussions et dans 11% des courriers analysés, les locataires ayant du mal à comprendre que de telles pratiques soient autorisées : huit locataires ont par exemple été confrontés à des augmentations subites allant de 20 à 65% selon les cas.
Des résiliations sans raison valable
Enfin, à la fin du bail, la restitution du dépôt de garantie reste la préoccupation majeure, que ce soit au niveau du montant ou du délai. Cet élément était bien connu.
Par contre, l’ampleur d’un autre phénomène a surpris l’équipe : la résiliation de bail à l’initiative des propriétaires. «Le plus souvent au motif de la vente du logement, raison qui n’est pas valable juridiquement», pointe Lindsay Flynn.
«Certains propriétaires incitent le locataire à partir. Et dans 28% des cas, aucune raison n’est donnée pour résilier le bail.» Elle invite les autorités à évaluer cette problématique, d’autant plus dans le contexte d’inaccessibilité et d’augmentation des prix sur le marché.
Les infos disponibles ne sont pas exploitées
Et pour se défendre, il faut être bien informé. Or, une grande partie des locataires ignorent la loi : «Tout ce qui est utile aux propriétaires et aux locataires est pourtant disponible en ligne, et en plusieurs langues. Mais ces informations précieuses n’atteignent pas leur cible», remarque l’experte, qui recommande la distribution de brochures spécifiques.
Il y a une anxiété profonde chez les locataires
Au-delà du caractère négatif des remarques répertoriées, il importait à l’équipe de chercheurs d’écouter les locataires et de déterminer quels sentiments les traversent par rapport au logement.
«Ce qu’on a établi, c’est qu’il y a une anxiété profonde chez les locataires. Tout ce que nous avons décrit précédemment crée un système dans lequel ils ressentent de l’injustice, voire de l’insécurité pour un quart d’entre eux», alerte-t-elle. Ils ont parfois l’impression d’être impuissants, voire exploités.
Quels effets pour la nouvelle loi?
Au final, trois grandes tendances se dessinent :
- un manque de connaissance du cadre légal,
- un déséquilibre dans la relation propriétaire-locataire,
- une précarité accrue des ménages économiquement vulnérables, des familles avec enfants et des mères seules.
Un constat pris au sérieux par le ministre, qui a rappelé le droit de chaque citoyen à disposer d’un logement, et s’est dit prêt à prendre les mesures nécessaires pour restaurer la confiance mutuelle et réduire les conflits.
Il a noté que la nouvelle loi de 2024 sur le bail à loyer impose maintenant plus de transparence et permet de mieux protéger les locataires. Une nouvelle étude sera utile à l’avenir pour en évaluer les effets.
Mieterschutz : «Sortir des clichés va nous aider»
Qu’avez-vous appris avec ce rapport?
Jean-Michel Campanella, cofondateur de Mieterschutz : On pensait que les problèmes se concentraient autour de la caution, mais on voit aujourd’hui qu’il y a beaucoup d’autres choses et que c’est plus profond que ça. Cette étude nous permet aussi de disposer enfin de données objectives face aux idées répandues sur les locataires qui ne seraient que des mauvais payeurs qui dégradent les logements. Sortir de ces clichés va nous aider dans nos échanges avec les autorités.
Des choses vous ont surpris?
La diversité des profils concernés par les difficultés. Il ne s’agit pas que de familles défavorisées : de jeunes expatriés ou des personnes avec de bonnes situations décrivent, eux aussi, un parcours du combattant pour trouver un logement et le garder. Cela prouve que c’est un problème général.

Jean-Michel Campanella se dit étonné de la diversité des profils concernés par les difficultés.
Pourquoi les informations ne passent pas?
On doit vraiment enquêter là-dessus, car ni les propriétaires, ni les agences, ni les locataires ne trouvent les informations dont ils ont besoin. Il y a un problème de langues, vu la diversité de population dans le pays. D’autant qu’on parle ici de démarches officielles et juridiques. Il faut simplifier et mettre à disposition des lettres-type. Je vois mal un employé indien de chez Amazon rédiger une lettre en français – la langue juridique – pour exiger sa caution non restituée. Ça, on va le faire.
Quelles sont vos revendications?
On réclame toujours une réforme de la Commission des loyers, un endroit où on pourrait faire de l’information et de la médiation, au lieu de passer en justice. Mais je ne sens pas de volonté politique pour le faire. Mieux prendre en compte les familles monoparentales aussi, dont on connaît les difficultés. La prochaine étape, c’est mettre ce rapport sur la table et avancer.