Se faire connaître grâce à ses talents comiques, sur scène ou en ligne, est un défi en République centrafricaine, l’un des pays les plus pauvres du monde, qui manque cruellement d’espaces culturels et où l’accès à internet reste très limité.
Sous un manguier d’un quartier résidentiel de Bangui s’organise le tournage de Cabine à problèmes, une série de sketchs imaginée par Lemuel Luther-King Godonam, «Luther LG», 19 ans, avec quelques comédiens d’une scène d’humoristes qui peine à émerger en Centrafrique.
Tourner, mettre en ligne et acquérir une notoriété grâce à ces vidéos est un défi dans ce pays parmi les plus pauvres du monde où le taux de pénétration d’internet ne dépasse pas 15,5 %, selon une étude des agences We Are Social et Hootsuite de mars 2025.
Qu’importe pour le lycéen à la tête de la troupe, bien décidé à se faire un nom. Il compte sur ce rôle de propriétaire d’une boutique de rue qui a «toutes sortes de problèmes» avec ses clients ou les commerçants des alentours, dans cette nouvelle minisérie dont la diffusion a commencé dimanche.
«C’est une nouvelle chose chez nous. Les comédiens ici, on les compte sur le bout des doigts», plaide-t-il pour expliquer l’absence de scénarios et dialogues préécrits et la présence d’un simple panneau en bois en guise de décor.
Quelques riverains s’arrêtent, intrigués de voir l’envers des vidéos des réseaux sociaux se dérouler sous leurs yeux. «Je pensais qu’ils faisaient ça au téléphone, mais il y a du sérieux dans ce qu’ils font», s’étonne Kharl Malibangar, un étudiant de 21 ans impressionné par les perches, micros et caméras.
«J’ai envie de les encourager, aimer leurs chaînes, m’abonner et leur donner des likes», s’enthousiasme le jeune homme. «L’humour, ça aide beaucoup de gens. Nous avons traversé la guerre et les gens ont besoin de ça pour s’évader et se changer les idées», ajoute-t-il.
Luther souhaite «pousser la comédie de (son) pays à un autre niveau» et se faire connaître au-delà des frontières. Alors les jeunes acteurs de 19 à 24 ans s’expriment en français plutôt qu’en sango, l’une des langues officielles du pays.
«Il n’y a pas que des Centrafricains qui me suivent, il y a aussi des étrangers qui doivent comprendre ce qui se dit, donc je suis obligé de le faire en français», ajoute Luther LG, qui rêve d’être aussi populaire que les Camerounais, Ivoiriens ou Béninois sur YouTube, TikTok ou Instagram.
Encore faut-il pouvoir publier ces vidéos. «Il n’y a pas une bonne qualité de connexion ici, ce qui m’empêche de publier sur certains réseaux. C’est un frein pour ma visibilité», s’agace Jessie Pavelle Nganayona, 19 ans, une comédienne du groupe. Parfois, les 2 000 francs CFA (environ 3,5 euros) qu’elle crédite sur son téléphone s’épuisent avant que sa vidéo ne soit en ligne.
Impossible pour la jeune fille de tout miser sur sa présence en ligne. Mais la capitale centrafricaine manque cruellement de lieux de spectacles ou d’événements dédiés à l’humour.
En comparaison, la Côte d’Ivoire est un tremplin pour les humoristes. Le comédien nigérien Mamane, une référence, y organise depuis dix ans le festival Abidjan capitale du rire. La capitale économique ivoirienne abrite en outre des lieux de tournage, où des sociétés de production créent des émissions humoristiques, des bars dans lesquels les soirées stand-up sont régulières et, depuis quelques années, des écoles d’humoristes.
En Centrafrique, les prestations humoristiques sont souvent cantonnées aux cérémonies officielles politiques ou aux événements des ONG où l’objectif est de «conscientiser, de sensibiliser, d’éduquer la population» à travers l’humour, comme le décrit Gervais Symphorien Kpignon, de la célèbre troupe des Perroquets de Bangui. Bien loin d’une nouvelle vague de comédiens davantage portée sur des sujets légers comme les relations amoureuses.
Pour établir un lien entre ces deux mondes et faire perdurer l’humour centrafricain, Yvon Cyrille Goné, alias Docteur Mandjeke, a créé le festival Bangui Rire il y a sept ans et anime une formation à destination des jeunes humoristes centrafricains avec l’objectif de «former la nouvelle génération qui prendra la relève». «Les jeunes qui arrivent sont bons, mais ils n’ont pas assez d’expérience, donc je me dis qu’il faut leur donner un coup de main», avance-t-il.
Comme ce soir-là, où il fait entrer Jessie Pavelle Nganayona sur scène au Missy-Momo, l’un des rares espaces culturels à Bangui. Toutes les chaises en plastique sont occupées. Et le public se tord de rire lorsque Jessie blague sur les garçons «apoutchous» («pulpeux», en argot ivoirien) réputés généreux, à l’inverse des garçons maigres supposés pingres.
«Je voudrais vraiment devenir l’humoriste centrafricaine la plus connue du monde entier», clame-t-elle à sa sortie de scène.