L’association belge Le Funambule a créé en janvier au Luxembourg un groupe de parole pour les personnes bipolaires et leurs proches. Tous les mois, ils se réunissent à la maison citoyenne de Junglinster.
Dans le monde, près de 40 millions de personnes souffriraient de troubles bipolaires, selon l’OMS. Encore très taboue, cette maladie, est, pourtant, de plus en plus médiatisée. En mars dernier, le journaliste de France Inter, Nicolas Demorand, révélait publiquement son trouble bipolaire.
D’autres personnalités, avant lui, ont confié être atteintes par cette maladie, comme l’acteur belge Benoît Poelvoorde, la comédienne britannique Catherine Zeta-Jones ou encore la chanteuse américaine Mariah Carey. Malgré cette libération de la parole, les personnes bipolaires se sentent souvent incomprises ou stigmatisées. C’est pour les aider dans leur quotidien que l’association belge Le Funambule a constitué, en janvier dernier, un groupe de parole à Junglinster.
Une fois par mois, des malades ou des proches viennent se confier sans tabou au sein de la maison citoyenne Ôpen. Tous sont accueillis par deux bénévoles de longue date de l’association, Annick Gaillat et Arnaud Cormier. Pendant deux heures, proches et malades apprennent à se connaître, discutent de leur quotidien et s’entraident dans la gestion de leur maladie ou de celle de leur entourage.

«Nous faisons ce que l’on appelle de la psychoéducation. Ce sont des modules durant lesquels les participants apprennent à être acteurs de leur maladie, à comprendre comment ça se manifeste chez eux, à réussir à gérer et anticiper les crises», explique Annick Gaillat, belge résidente au Luxembourg.
Une écoute bienveillante et anonyme qui peut rassurer les malades. «On ne parle ni de médicaments ni de traitement. Comme nous ne sommes pas des professionnels de santé, on n’entre pas sur le territoire des psychiatres. On peut, par exemple, expliquer les principes d’hygiène de vie, l’importance du sommeil. On évite surtout les conseils directs», ajoute Arnaud Cormier, bénévole et animateur du groupe de parole.
Entre euphorie et dépression
Des confessions qui mettent surtout en lumière un quotidien très difficile. Car vivre avec un trouble bipolaire peut être très handicapant dans sa vie tant personnelle que professionnelle. «Il y a autant de troubles bipolaires que de personnes qui en souffrent. C’est une maladie invisible, mais très handicapante», explique Arnaud Cormier.
En effet, les symptômes varient très fortement d’une personne à l’autre. «Par opposition à la dépression que l’on dit unipolaire en psychiatrie. La bipolarité est un spectre de maladies différentes qui font partie des troubles de l’humeur (…). La personne bipolaire va osciller entre des périodes d’hyperactivité, des phases maniaques, d’hypomanie et des phases dépressives.»
Durant les phases d’euphorie, la personne atteinte par cette maladie est totalement désinhibée, elle peut parler très fort, être très active, dormir ou manger très peu. «Ce qui se passe derrière, c’est qu’elle est en train de brûler de l’énergie qu’elle n’a pas. Alors ça peut augmenter crescendo jusqu’à la manie. Cela peut aller jusqu’à de l’agressivité envers soi-même ou envers autrui, ce qui reste très rare», précise Arnaud Cormier. Après ce sentiment dit de «toute puissance», la personne bipolaire va ressentir une phase de descente dite «dépressive».
«Elle va ressentir un ralentissement psychomoteur. Elle peut éprouver une faible estime d’elle et même des idées noires. Ça peut aller jusqu’à un passage à l’acte suicidaire ou à l’auto-mutilation. La personne perd ou s’écarte de son travail parce qu’elle n’arrive plus à tenir, elle n’a plus l’énergie», complète Annick Gaillat.
Entre ces phases qui peuvent durer des jours, des semaines, voire des mois, une autre période se manifeste, celle de la stabilité. «C’est un plateau que l’on appelle l’euthymie. C’est une période très intéressante pour apprendre de la maladie, parce que la personne, à ce moment-là, elle est posée, elle n’est ni en phase haute ni en phase basse, elle peut se questionner sur sa relation avec ses troubles et la façon dont elle peut arriver à les gérer», indique Annick Gaillat.
«On colle l’étiquette, c’est bon, vous êtes fou»
Mais derrière cette maladie complexe se cachent parfois plusieurs années d’errance médicale. «Le diagnostic peut mettre beaucoup de temps à être posé. En moyenne, il faut entre 8 à 10 ans pour la mise au point du traitement. Parce qu’effectivement, tant qu’il n’y a pas au moins une phase maniaque franche, le psychiatre n’est jamais certain qu’il s’agisse d’un trouble bipolaire. Certaines personnes présentant des symptômes plus légers peuvent passer des années sans connaître la raison de leurs maux», explique Arnaud Cormier.
Le moment de la pose du diagnostic peut être également un souvenir douloureux pour la personne souffrant d’un trouble bipolaire. «Au moment du diagnostic, on colle l’étiquette, c’est bon, vous êtes fou. On se bat contre cette image, mais c’est le genre de message que l’on reçoit à cet instant», souligne Annick Gaillat.
Mais alors, comment se manifeste cette maladie? Si les causes sont diverses, le facteur héréditaire joue un rôle. «Il y a une prédisposition génétique. Mais évidemment, ce n’est pas systématique», indique Arnaud Cormier.
Durant l’enfance, l’adolescence, ou à la suite d’un choc émotionnel, les troubles bipolaires peuvent arriver à n’importe quel moment de sa vie. «Nous ne sommes pas tous bipolaires, même si nous avons tous des fluctuations des humeurs. Cette maladie est liée à une perturbation des neurotransmetteurs qui régulent les émotions», ajoute Arnaud Cormier.
Même si cette maladie est très handicapante dans le quotidien des malades, certains réussissent, des années après la pose du diagnostic, à trouver une stabilité. «Évidemment, le traitement joue beaucoup. Mais on voit des personnes être stables depuis une dizaine d’années. Et les groupes de parole que nous organisons les aident aussi beaucoup. Finalement, ils font partie aussi du traitement», conclut Annick Gaillat.
Une première au Luxembourg
L’association Le Funambule vient en aide aux personnes vivant avec un trouble bipolaire et leurs proches. L’ASBL originaire de Belgique et plus précisément de Bruxelles fête ses 25 ans cette année. Elle organise des groupes de parole en présentiel et en ligne pour les personnes bipolaires.
Depuis quelques mois, elle est présente au Luxembourg. «L’idée est née en 2024. Comme notre résidence est au Luxembourg, on trouvait intéressant de pouvoir lancer un groupe de parole au Grand-Duché. Pour l’instant, nous avons reçu jusqu’à cinq personnes lors de nos séances», précise Arnaud Cormier.