Good One
d’India Donaldson
avec Lily Collias, James LeGros, Danny McCarthy…
Genre drame
Durée 1 h 30
Youkaïdi, youkaïda! Des chemins de Compostelle aux sentiers escarpés corses jusqu’aux simples balades dans les campagnes environnantes, la randonnée est devenue une pratique à la mode. Chaussures ajustées, sac à dos blindé et gourde emplie à ras bord, l’expérience se veut multiple : elle permet, à première vue, de prendre du recul avec le quotidien pour s’offrir un souffle bienvenu dans un monde qui en manque.
Mais derrière la contemplation et le sens de l’effort, il est également question de se reconnecter à soi-même et aux autres. La marche devient alors une invitation à imaginer sa propre route. Elle pourrait alors se définir de la sorte : prendre des chemins de traverse pour mieux retrouver le sien.
Le cinéma, toujours à l’affût des mœurs, n’est pas resté insensible à l’expérience, surtout quand celle-ci offre un huis clos, situation idéale pour examiner à travers une caméra un groupe, et en décortiquer les dynamiques jusqu’à produire des situations insolites qui, souvent, dérapent.
Parfois pour rire (Antoinette dans les Cévennes), parfois moins (Into the Wild). Le film d’India Donaldson, son premier après trois courts métrages, se situe au carrefour, pince-sans-rire, modeste, délicat et troublant, ramenant à la signature naturaliste de Kelly Reichardt (notamment Old Joy). Son idée? Capter un moment intime, celui d’un anodin week-end dans les bois au cours duquel des relations seront affectées à jamais.
Ainsi, on découvre Christopher (joué par James LeGros) et sa fille âgée de 17 ans, Sam (Lily Collias), en plein préparatif pour partir dans les Catskill, région montagneuse et sauvage de l’État de New York. En compagnie de Matt, un vieux pote de ce dernier (Danny McCarthy), la virée n’a rien de violent : une petite quarantaine de kilomètres sur trois jours, en totale autonomie.
Mais le trio, bien qu’attachant, est déséquilibré : d’un côté, deux hommes divorcés et à l’amitié fragile, ruminant l’échec de leurs couples respectifs et regrettant leurs rêves inaboutis. De l’autre, une adolescente fine, sage et intelligente qui, depuis petite, comprend ce que les adultes veulent et adapte son comportement pour répondre à leurs attentes. Elle est, comme le suggère le titre, une «fille bien».
Plus qu’une génération, c’est tout un monde qui les sépare, fossé qu’elle cherche à combler en se montrant utile et compréhensive : elle cuisine, nettoie, aide, écoute, divertit, console… En face, les deux quinquagénaires étalent leurs ego et leur rivalité : ils montrent les muscles sur les photos, font de la surenchère quand ils rencontrent un autre groupe de marcheurs («L’année prochaine, j’organise un trek d’un mois en Chine, qui en est?»), picolent sous les étoiles et étalent les clichés sur les comportements de cette jeunesse qu’ils ne comprennent décidément pas. Rien de bien méchant, toutefois, jusqu’à la réflexion de trop. Le point de bascule est franchi, et à partir de là, Sam ne veut plus jouer le jeu…
Good One est une belle réussite du cinéma indépendant américain, en raison de sa subtilité. Déjà, il y a l’enrobage : des paysages qui donnent envie de se perdre dans les Appalaches, surmontés d’une petite musique étrange, sorte de folk déglingué qui va soutenir les tensions croissantes de l’équipée et ce sentiment de claustrophobie progressif contrastant avec les grands espaces.
C’est avec la même retenue qu’India Donaldson met en scène son trio : nulle grande révélation, et nul grand trauma ici, mais seulement deux adultes un brin immatures et aux vieux schémas paternalistes qui voient en la jeune Sam une fille et une mère à la fois. Avec réserve, encore, cette dernière, économe en mots, leur renvoie régulièrement une moue, un regard étonné ou des haussements d’épaules.
Entre les deux partis, bien sûr, il y a l’amour d’une enfant pour son père, mais surtout toute une série d’observations et de constats, les mêmes qui agitent la société depuis le mouvement #MeToo : la place de la femme-fille, le sexisme ordinaire, la figure patriarcale, la prédation masculine…
Et au milieu de ces failles surgit la figure, pas si innocente que ça, de Lily Collias, belle promesse qui porte le film sur ses épaules. Son personnage, dans ses attitudes et ses choix, est en tout cas un joli symbole pour la génération à venir, du moins celle qui espère changer les codes existants, à travers un message fédérateur qui pourrait se résumer ainsi : l’émancipation se vit et se construit surtout avec les autres.