Accueil | A la Une | État de la Nation : la défense renforcée, du concret sur les pensions

État de la Nation : la défense renforcée, du concret sur les pensions


Le Premier ministre, Luc Frieden, a fait plusieurs annonces concrètes, tout en rappelant des initiatives déjà mises en perspective. (Photo : chambre des députés).

Le Premier ministre a présente, ce mardi après-midi, la deuxième déclaration sur l’état de la Nation de son mandat. Le chef du gouvernement était attendu au tournant sur de nombreux points. Le titre du discours : la «stabilité par le progrès». Et, à la clé, des annonces concrètes sur la politique de défense, la réforme des pensions et une première piste pour la réforme fiscale.

Le 11 juin 2024, au lendemain des élections européennes, Luc Frieden s’était présenté une première fois devant la Chambre pour dresser l’état de la Nation. Le Premier ministre, en poste depuis novembre 2023, était de retour ce mardi face aux députés.

Comme annoncé dès la semaine dernière, Luc Frieden a dévoilé une trajectoire financière adaptée pour augmenter encore l’effort de défense (lire ci-dessous).

Un autre dossier majeur où le Premier ministre était attendu au tournant était le conflit majeur avec le camp syndical, sur la modernisation du droit du travail et les conventions collectives. Comme prévu, pas d’annonce d’accord.

Par contre, les contours de la réforme des pensions ont été mises sur la table.

Premières pistes pour la réforme des pensions

Le Premier ministre a levé une première partie du voile sur la réforme des pensions.

Première annonce : une hausse des années cotisables avant de pouvoir partir à la retraite, afin de rapprocher l’âge de départ réel de l’âge de départ légal, qui reste fixé à 65 ans. «La carrière nécessaire pour ouvrir le droit à une pension sera allongée progressivement de trois mois par an sur plusieurs années», avance Luc Frieden.

Afin d’accompagner cette transition, il est prévu d’introduire la possibilité d’une retraite progressive – c’est-à-dire une période durant laquelle une personne réduit progressivement son travail tout en percevant déjà une partie de sa pension.

Afin d’assurer le financement du système des pensions pour les 15 prochaines années, le gouvernement propose les mesures suivantes :

  • une contribution budgétaire issue des recettes d’une taxe existante sur la consommation. Une possibilité : affecter la moitié des recettes de la taxe CO2 prévues pour les mesures sociales
  • maintien de la réserve, afin qu’elle continue à générer autant de revenus financiers que possible
  • maintien de la réforme de 2012, ainsi que des mesures d’ajustements pour le cas où les dépenses dépasseraient les recettes

Deux autres propositions :

  • les personnes risquant de basculer dans la précarité au moment de la retraite doivent pouvoir bénéficier d’une aide sociale ciblée.
  • les personnes qui ont la possibilité d’épargner vont pouvoir bénéficier d’une assurance-pensions privée fiscalement plus avantageuse

Le fil du discours et les autres annonces majeures

«Un moment charnière dans l’histoire»

Le Premier ministre ouvre son discours en dressant le constat que «nous traversons un moment charnière dans l’histoire de notre pays et de notre continent». Le monde changerait «à un rythme et avec une ampleur sans précédent, que ce soit sur le plan géopolitique, social, technologique ou écologique. Nous vivons une époque de profonds bouleversements. Quelque chose de fondamental est en train de se produire – et cela se ressent. L’histoire s’écrit sous nos yeux», enchaîne-t-il.

«Faire progresser notre pays»

Au vu de ce contexte, le gouvernement ne veut pas rester, selon Luc Frieden, «spectateur face aux changements de notre époque. Nous voulons les saisir comme une opportunité, pour faire progresser notre pays, pour façonner notre avenir»

«Nos promesses sont devenues réalité»

Le Premier ministre revient sur les promesses faites lors de sa première déclaration sur l’état de la Nation : une politique économique performante, une politique sociale ciblée, «au service de l’équité et de la lutte contre la pauvreté», une «politique énergétique ambitieuse» et une «politique sociétale moderne, garante des droits et des libertés».

«Nous avons avancé sur tous ces fronts. Nos promesses ne sont pas restées des paroles vides. Elles sont devenues réalité», souligne Luc Frieden.

Défense : les 2 % du RNB seront atteints dès fin 2025

Il s’agit d’une première annonce majeure. Contrairement à ce qui avait été annoncé il y a un an, le Luxembourg va augmenter plus rapidement son effort défense. Le cap minimal de 2 % du Revenu national brut (RNB), réclamé par l’OTAN, sera atteint non pas en 2030, mais dès la fin de cette année.

La décision aurait été prise après concertation avec tous les partis représentés à la Chambre. Le Premier ministre se dit «fier du large consensus politique» trouvé sur ce point.

L’équivalent en chiffres absolus reste à définir. L’actuelle trajectoire prévoyait une enveloppe de 1,5 milliard d’euros pour 2030, contre 780 millions d’euros cette année (1,3 % du RNB).

La ministre de la Défense, Yuriko Backes, va présenter dans les semaines à venir les capacités dans lesquelles le Luxembourg va investir.

Défense : trois sources de financement, le social épargné

L’effort financier pour augmenter l’investissement dans la défense «ne peut se faire au détriment de notre politique sociale», martèle Luc Frieden. «Il n’est pas question d’opposer les priorités. Les défis posés par la question de la sécurité s’ajoutent aux autres. Ils ne les effacent pas», ajoute-t-il.

Le financement de l’augmentation se fera à travers trois sources :

  • par le budget de l’État, par le biais d’un «defense bond», c’est-à-dire un emprunt public dédié à la sécurité, auquel des investisseurs privés peuvent contribuer.
  • une redéfinition des priorités en matière de dépenses, notamment dans le domaine des infrastructures. Ils ne seront pas «prêts tous au même moment».
  • la mobilisation de ressources financières extrabudgétaires, notamment via un fonds national auprès de la SNCI (Société nationale de crédit et d’investissement), destiné à financer des activités pouvant servir à des fins militaires comme civiles.

Les satellites, une priorité pour la défense

Afin d’atteindre un effort de défense de 2 % du RNB, le gouvernement compte miser sur la «solide expérience» et de sa «réputation reconnue», notamment dans le domaine des satellites. SES va rester un partenaire stratégique.

Il est ainsi prévu de lancer en orbite un second satellite de communication à vocation militaire.

La sécurité civile sera aussi renforcée

«Nous devons aussi penser la sécurité dans un sens plus large, qui dépasse le strict cadre de notre armée. Il s’agit de renforcer notre résilience, en tant que société entière, face à toutes sortes de crises», souligne Luc Frieden.

Le gouvernement compte présenter encore cette année une première stratégie nationale pour la résilience, accompagnée d’une campagne d’information.

«Une véritable résilience exige une action coordonnée à la fois au niveau national et local. Elle associe les services civils et militaires, les acteurs publics comme privés. Elle s’appuie sur une approche « tous risques » et une gestion cohérente. Même en temps de crise, les fonctions vitales de notre société, de notre État et de notre économie doivent fonctionner à tout moment», avance encore le Premier ministre.

«L’avenir du Luxembourg et celui de l’Europe sont indissociables»

Le chef du gouvernement enchaîne avec un plaidoyer pour l’UE.

«Être souverain, c’est avoir confiance en soi. C’est pouvoir prendre ses propres décisions. Être souverain, c’est être libre. Et un Luxembourg souverain ne peut exister que dans une Europe souveraine. Notre ouverture à l’Europe est le fondement de notre succès social et économique», rappelle Luc Frieden.

«L’avenir du Luxembourg et celui de l’Europe sont indissociables», ajoute-t-il.

Feu vert du Luxembourg pour l’accord Mercosur

Dans un premier temps, à la signature de l’accord de libre-échange entre l’UE et les pays du Mercosur, le gouvernement luxembourgeois avait hésité à le soutenir. Une décision finale devait être prise pour Pâques. Lors de cette déclaration sur l’état de la Nation, le Premier ministre a finalement annoncé le feu vert.

L’intérêt économique a pris le dessus. «Le Luxembourg a besoin de débouchés à l’exportation pour son économie, surtout à un moment où de nouvelles barrières se dressent dans certaines régions du monde. C’est pour cette raison que le Luxembourg donnera son accord au traité commercial avec les pays du Mercosur», annonce Luc Frieden.

La version finale du texte donnerait «davantage d’assurances que notre marché ne sera pas inondé et que nos standards sanitaires et environnementaux dans la santé et l’environnement ne seront pas sapés».

Une promesse, notamment pour le secteur agricole : «Nous suivrons de près les effets de cet accord, ensemble avec le secteur. Et si la production locale de nos producteurs de viandes devrait en souffrir, nous viendrons à leur encontre».

L’industrie, un «pilier stratégique pour notre souveraineté» du pays

Le Premier ministre met un autre accent sur l’industrie, mis au défi par la décarbonation. «Une entreprise industrielle doit pouvoir avancer pas à pas, sans être contrainte de franchir plusieurs étapes du jour au lendemain», affirme-t-il.

Pour réussir à relever ce défi, le gouvernement continuera à miser sur des aides financières «ciblées» et un «investissement massif dans nos infrastructures de réseau».

Autre facteur majeur pour réussir la transition verte : une énergie abordable. «Si nous ne parvenons pas à maîtriser les coûts énergétiques, tous nos efforts d’accompagnement dans la transition perdront leur sens. L’industrie finira alors par tourner le dos à l’Europe», met en garde le Premier ministre.

Plus globalement, le gouvernement se dit décidé à maintenir l’industrie comme «pilier stratégique de notre souveraineté».

Il est prévu que l’État couvrira, comme en Allemagne, une partie des coûts du réseau. (Photo : Alain Rischard)

«L’énergie doit rester abordable» : l’État mobilise 150 millions d’euros

Le plafond partiel sur les prix de l’électricité viendra définitivement à échéance fin 2025. Mais, le gouvernement compte continuer à soutenir les ménages afin que «l’énergie reste aborable».

«Au Luxembourg, les prix restent inférieurs à la moyenne européenne. Un atout à la fois social et économique, que nous sommes déterminés à préserver. Nous voulons stabiliser durablement les prix de l’électricité dans les années à venir – sans pour autant revenir à un mécanisme de plafonnement», introduit Luc Frieden.

C’est pourquoi il est prévu d’investir dans des «solutions durables», tout en encourageant «activement la transition vers l’électrification». Une enveloppe de 150 millions d’euros sera débloquée, qui doit bénéficier à la fois aux citoyens et aux entreprises.

Énergie : deux mesures pour soutenir les ménages

Il est prévu que l’État couvrira, comme en Allemagne, une partie des coûts du réseau. «Cela soulagera significativement tous les clients», annonce le Premier ministre.

En outre, l’État compte prendre en charge les coûts du mécanisme de compensation, qui sert sert à subventionner les projets de production d’énergie électrique. Cette compensation est actuellement financé par chaque consommateur. «Par cette mesure, nous apportons un soutien ciblé aux ménages qui passent à l’électricité et encourageons ainsi la transition écologique», met en perspective Luc Frieden.

Renouvelables : des panneaux solaires le long des autoroutes

«Aujourd’hui encore, nous nous mettons nous-mêmes des bâtons dans les roues. Les procédures devraient être un levier, non pas un frein. C’est pourquoi ce gouvernement s’engage pour une simplification conséquente des règles. Nous devons alléger le système. Moins de bureaucratie pour plus d’énergie durable – et donc moins d’émissions», développe le Premier ministre.

Dans cet ordre d’idées, – et après concertation du secteur -, le gouvernement a élaboré un «ambitieux catalogue» d’environ 50 mesures.

Ce catalogue doit aussi accélérer l’installation de panneaux photovoltaïques le long des autoroutes, projet mis en perspective dès 2024. Selon une étude, la capacité de production pourrait atteindre 1 500 mégawatts.

«Même en ne réalisant qu’une partie de ce potentiel, nous pourrions générer de l’énergie propre pour des dizaines de milliers de foyers. Dans cette optique, plusieurs projets concrets verront le jour dans les mois à venir, notamment sur des murs anti-bruit et sur le parking Park & Ride de Junglinster», met en perspective le Premier ministre.

En matière d’éoliennes, il est prévu réduire les distances minimales aux routes et aux forêts pour définir les sites de construction potentiels.

Hausse des capacités dans le domaine de la psychiatrie pour mineurs

«La santé mentale ne doit plus être un sujet tabou. Elle fait partie intégrante de la santé», souligne Luc Frieden.

«Pour mieux gérer les cas les plus aigus, nous augmentons le nombre de lits en psychiatrie pour mineurs. La prévention est, plus que jamais, au cœur des priorités portées par la ministre de la Santé et le ministre de l’Éducation», annonce-t-il.

Il ajoute qu’«au cours de cette année, et en étroite concertation avec les acteurs du terrain», le gouvernement veut «explorer» des «pistes additionnelles pour permettre aux enfants de grandir sereinement et sans troubles psychologiques». «Notre objectif est clair : une génération qui est vraiment heureuse, pas seulement en apparence sur les réseaux sociaux», insiste le Premier ministre.

La convention collective, «un levier essentiel dans les mains des syndicats»

Le Premier ministre répète l’importance que son gouvernement accorde au dialogue. Or, «le dialogue n’implique pas nécessairement une codécision sur chaque point. La majorité parlementaire porte une responsabilité, et elle sera jugée sur sa capacité à l’assumer».

Il revient ensuite sur les points de conflits majeurs avec le camp syndical : extension du travail dominical, prolongation des heures d’ouverture dans le commerce et réforme du cadre légal sur les conventions collectives. Sans pouvoir annonce d’accord.

«Ces modifications ont fait l’objet de discussions approfondies avec les partenaires sociaux. Et ce n’étaient pas de simples échanges de façade : certains aspects des horaires d’ouverture sont liés à des conventions collectives. C’est la preuve que nous sommes à l’écoute. Et c’est aussi la preuve que la convention collective reste un élément central dans notre droit du travail, mais aussi un levier essentiel dans les mains des syndicats», avance le Premier ministre.

Mais  vu que le régime actuel «ne correspond plus aux diverses réalités de notre société et de notre économie», le gouvernement reste décidé à permettre aux patronas de «régler des aspects spécifiques à la réalité de chaque entreprise et aux besoins de ses salariés», sans le concours des syndicats.

Les tables rondes sociales auraient été «un succès». «Malgré un démarrage difficile, les trois partenaires ont su se rapprocher, s’écouter et engager un dialogue dans le respect mutuel. Le gouvernement souhaite poursuivre cet échange respectueux dans les mois à venir, y compris au sein des instances consacrées au dialogue social», affirme le Premier ministre.

Vers une flexibilisation du congé de maternité 

Encore cette année, le gouvernement compte lances les travaux législatifs pour flexibiliser le congé de maternité et l’introduction du temps partiel familial. «L’objectif est de permettre aux parents de consacrer plus de temps à leurs enfants durant les premiers mois et les premières années de leur vie. Dans une politique sociétale moderne, travail et vie de famille ne doivent plus être en opposition. Chaque enfant doit avoir la chance de grandir dans une famille heureuse», développe Luc Frieden.

Réforme fiscale : une seule classe pour tous, proche de la classe 1A actuelle

En plus de la réforme des pensions, le gouvernement compte mener, comme promis, une réforme fiscale, avec à la clé la création d’une seule classe d’imposition.

«Avec l’individualisation, chaque modèle familial sera traité et imposé de la même manière. C’est avant tout une question d’équité», indique le Premier ministre.

En attendant la présentation des pistes concrètes par le ministre des Finances, Gilles Roth, en juillet, Luc Frieden a fait une première annonce : le nouveau barème fiscal pourrait être proche de l’actuelle classe d’impôt 1A. La réforme doit être «accompagné d’une phase transitoire prolongée pour les contribuables mariés ou pacsés, afin qu’ils ne soient pas désavantagés»

Un «Deep Tech Lab» et une «AI Academy»

L’ambition est claire : faire du Luxembourg une place «aussi reconnue pour son expertise financière que pour son savoir-faire numérique», en misant sur les données, l’intelligence artificielle et la technologie quantique.

L’écosystème déjà en place sera complété création d’un Deep Tech Lab, qui a pour vocation de faciliter les échanges entre les acteurs académiques et économiques, afin de promouvoir la recherche, l’innovation et l’entrepreneuriat.

«Quant aux talents locaux, nous proposerons, dès 2026, une AI Academy au sein du Digital Learning Hub, avec des formations spécifiques dans le domaine de l’intelligence artificielle», ajoute Luc Frieden.

Logement : le «Bëllegen Akt» sera maintenu

Le Premier ministre se félicite de la reprise sur le marché du logement. Toutefois, «l’État n’a pas pour rôle de soutenir indéfiniment le marché du logement. Le marché doit se suffire à lui-même».

Si le paquet d’incitations fiscales à investir davantage dans la construction de logis ne sera pas prolongé, le gouvernement compte toutefois maintenir une disposition précise : le crédit d’impôt sur les actes notariés «Bëllegen Akt» de 40 000 euros, accordé aux primo-acquéreurs.

«Cela signifie qu’un couple qui achète un logement pour ses propres besoins d’environ 1 million d’euros n’aura pas à payer de droits d’enregistrement. Cette mesure aide les jeunes familles à accéder à la propriété», détaille Luc Frieden.

La conclusion

«Toutes ces mesures concrètes montrent que nous avons les moyens de façonner la réalité et le monde qui nous entoure, en accord avec nos valeurs – par nos actes et nos décisions. C’est cela, la souveraineté : la liberté de faire ses propres choix et de façonner son propre avenir. C’est exactement ce que nous voulons pour notre pays», conclut le Premier ministre sa déclaration, qui aura duré un peu plus de 90 minutes.

Le match n’est pas terminé pour autant. Ce mercredi, paroles aux députés et le débat marathon sur le contenu de ce deuxième discours sur l’état de la Nation de Luc Frieden.