La procédure accélérée, ou mini-instruction, va être étendue. Le Barreau estime qu’elle n’est pas assez encadrée pour permettre un respect minimum des droits de la défense.
Le plan d’action interministériel contre la criminalité liée à la drogue (Drogendësch 2.0), qui rassemble 60 mesures, a été présenté aux députés des commissions des Affaires intérieures, de la Justice, de la Famille et de la Santé et de la Sécurité sociale jeudi. Parmi les mesures relevant du domaine de la Justice, la ministre Elisabeth Margue a notamment mis en avant l’accélération et la modernisation de la justice pénale, au titre desquelles est prévue l’extension de l’instruction simplifiée, aussi appelée mini-instruction. Le projet de loi déposé en janvier dernier ne réjouit pas l’Ordre des avocats.
La mini-instruction existe depuis 2006. Actuellement, elle permet au procureur d’État de requérir du juge d’instruction d’ordonner une perquisition, une saisie, l’audition d’un témoin ou une expertise, et ce, sans qu’une instruction ne soit ouverte. Les auteurs du projet de loi souhaitent étendre le recours à cette procédure pour les crimes de faux, usage de faux, prise illégale d’intérêts (corruption) et l’infraction d’extorsion ainsi que pour les crimes de faux bilans.
Le Conseil de l’Ordre émet de réelles inquiétudes quant à la généralisation de cette procédure accélérée. «Aujourd’hui la procédure de mini-instruction telle que nous la connaissons en droit pénal luxembourgeois est loin d’être respectueuse des droits de la défense, et doit, si la volonté du législateur est de l’étendre, être encadrée et clarifiée», souligne le Barreau de Luxembourg.
Sans saisine du juge d’instruction ni d’inculpation possible, les personnes visées par la procédure de mini-instruction n’ont aucun accès au dossier pénal. Elles perdraient ainsi «de nombreuses étapes clés dans la procédure pour faire valoir leurs droits et moyens de défense», estiment les avocats. Les personnes poursuivies ignorent parfois la procédure pénale qu’elles subissent jusqu’au moment où elles reçoivent notification d’une convocation à comparaître devant une juridiction de jugement, regrettent-ils. Le prévenu perd aussi tout droit de pouvoir concourir activement à l’instruction et de donner sa version des faits, ses pièces ou observations à décharge de sorte qu’il se retrouvera à devoir exposer tous ces éléments devant la juridiction de jugement.
«Il est assez illusoire d’espérer pouvoir plaider utilement et sereinement un dossier de corruption en quelques jours», observe le Barreau. Il sait par expérience que les juges se rendent compte, au vu des plaidoiries de la défense, que l’enquête conduite par le parquet n’a pas été «optimale», «qu’il manquait manifestement tel ou tel devoir». Soit la juridiction du fond en prend acte et tranche le dossier avec les éléments dont elle dispose, soit l’affaire est remise sine die et le parquet, à la lumière des développements d’audience, en profite pour conduire des investigations supplémentaires qui seront débattues à nouveau au fond. «Dans une telle hypothèse, le gain d’efficacité devient tout relatif», écrit le Barreau dans son avis.
S’inspirer
des Belges
Autre problème pour les avocats : le rôle du parquet. Il n’a aucune obligation d’enquêter à décharge, contrairement au juge d’instruction, qui a l’obligation d’instruire à charge et à décharge. Le Barreau rappelle que, dans le cadre de l’instruction, le prévenu a le droit de demander au juge d’instruction de poser des actes d’instruction à décharge, il a droit à une contre-enquête, à une confrontation avec le témoin, à une contre-expertise, au contre-témoignage. «Et surtout il peut faire recours contre les décisions du juge d’instruction qui refuserait d’accomplir tel ou tel acte d’instruction», insiste l’Ordre des avocats.
Dans le cadre de la procédure de mini-instruction diligentée par le parquet, ce dernier peut demander à voir exécuter des actes intrusifs dans la sphère privée, tels que des écoutes téléphoniques, des mesures de perquisition et de saisie, des expertises judiciaires, des dépositions de témoignage, etc. «Quels sont les recours offerts à ceux qui sont visés par de telles mesures?», interrogent les avocats.
Dans le droit belge, qui a inspiré la mini-instruction luxembourgeoise, le justiciable a des garanties, car les Belges ont pris la précaution d’encadrer le pouvoir conféré au parquet. «Le Conseil de l’Ordre encourage les auteurs du projet de loi à s’inspirer des dispositions belges en la matière qui permettraient de poser des garde-fous à cette procédure unilatérale qu’est la mini-instruction», conclut le Barreau.
Cette procédure de mini-instruction n’a jamais satisfait les avocats, et son extension encore moins aujourd’hui. Le Barreau estime qu’elle n’est pas assez encadrée «pour permettre un respect minimum des droits de la défense». Dans ce système, le ministère public dirigerait l’instruction et n’en référerait au juge que lorsqu’il aurait besoin d’une autorisation, par exemple pour ordonner une perquisition. «Ceci rappelle la tradition du droit pénal accusatoire, qui domine entre autres aux États-Unis et au Royaume-Uni.»
C’est la fonction du juge d’instruction qui serait en péril, selon le Barreau.