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[Rockhal] Viagra Boys, la pilule bleue du rock


(photo Chris Shonting)

Le groupe suédois Viagra Boys, en live ce samedi à la Rockhal, s’inscrit dans la lignée d’un certain punk adepte de la dérision. À défaut d’être mort, le rock a pris un sérieux coup de vieux ? Viagra Boys lui redonne vigueur et peps.

Sensibilité suédoise

Ils sont forts, ces Suédois, mais ils sont aussi très sensibles. Façonneurs historiques de gros tubes, d’Abba à Ace of Base en passant par Avicii – histoire de rester sur la première lettre de l’alphabet – la Suède excelle également au rayon de la pop mélancolique, dans le registre chochotte prodigieux ou crooner désabusé. Envie de fine pop suédoise de ce siècle ? Au fond de la salle, pas loin de Belle & Sebastian et de Neil Hannon, un type un peu pâlot nommé Jens Lekman narre des récits tristes parfois comme des histoires drôles; le splendide Nights Falls Over Kortedala (2007) est un album rongé par les cordes, la boule au ventre et le sourire embué dans le miroir, à force de soupirer.

Pour rester dans la piloérection (l’autre nom de la chair de poule), il y a The Embassy, les petits frères des Pet Shop Boys – des chansons comme Tell Me ou It Pays to Belong méritent d’être sauvegardées dans votre playlist. Pas convaincus? Il y a CEO, l’alias d’Eric Berglund, lequel superpose avec souplesse l’eurodance et l’indie-pop; la bombe déchirante Come with Me mérite des «followers». Loney Dear, excellent, Peter Bjorn & John, oui, le sifflement rayonnant de Young Folks ferait quasiment fondre la neige.

The Knife ? OK, pour danser avant que Karin Dreijer, la chanteuse, ne se métamorphose en Fever Ray et signe un album (Fever Ray, 2009) qui a davantage à voir avec les catacombes qu’avec les clubs. Lykke Li? Son I Follow Rivers synchronisé pile au milieu de La Vie d’Adèle (Abdellatif Kechiche, 2013) sert presque de générique de fin à la première partie du film (pour rappel, le titre entier est La Vie d’Adèle, Chapitres 1 et 2); le morceau passe pendant l’anniversaire de l’héroïne, c’est la fête, mais les tourments ne vont pas tarder.

Humour punk

La Suède n’est pas qu’une terre de tristesse. S’il y fait trop froid, ce fief enfante des groupes givrés. Viagra Boys fait partie de ceux-là. Déjà, quel drôle de nom… La naissance même du combo s’avère pittoresque, puisque tout démarre en 2015, lors d’une soirée karaoké, dans le salon de tatouages de Sebastian Murphy à Stockholm, alors que le futur «frontman» interprète, complètement torché, une chanson de Mariah Carey.

Question arbre généalogique musical, si les Viagra Boys semblent loin de leurs compatriotes célèbres hors de la Suède, ils sont, en fait, des descendants d’un certain punk qui se situe dans la tradition de la dérision ou de la satire vers le haut. C’est le cas de The Idiot signé Iggy Pop (1977), il en va de même pour les performances surréalistes de Devo; on pense encore à d’autres «boys» tels que les Beastie, pour le versant rap du punk – ou le contraire. Dans ce contexte, le nom «Daft Punk» ferait office de pléonasme.

Le punk peut être un gros éclat, plutôt que de violence, de rire, sur la face d’un monde austère et bourgeois. Il y a de quoi tourner à la dérision, à la déraison, donc à la folie, et ce, qu’il s’agisse des Dead Milkmen ou des Dead Kennedys, voire de NOFX, avec un titre qui en dit long sur le potache comme Arming the Proletariat with Potato Guns.

En Italie, à la fin des années 1970, une branche du punk s’appelle le «rock démentiel», un rock entre le situationnisme et le maboulisme à la Frank Zappa, le dadaïsme et l’esprit Hara-Kiri. En France, de Gogol Premier à Bérurier Noir, l’humour n’est pas non plus mis de côté dans le punk – entre leur goût pour le cirque et pour les jeux de mots, il n’est pas étonnant qu’une de leurs compilations, sortie en 1999, s’intitule Enfoncez l’clown. Et puis, il y a le «fun-punk», appelé paradoxalement le «punk pathétique», soit un genre de punk qui mixe drôlerie et problématiques liées à la classe ouvrière.

Moquer la masculinité

Les punks belges du groupe Le Prince Harry affirment, en parlant de leur musique : «C’est un peu comme mettre du napalm dans un pistolet à eau : c’est dangereux et rigolo.» On pourrait affirmer la même chose au sujet des Viagra Boys, en tant que formation aussi détonante que déconnante. Car il s’agit de mélanger la crasse punk et le rire qui est, pour sampler Rabelais, «le propre de l’homme». Alors, le nom… Il ne faut pas les confondre avec Via Gra, un groupe russo-ukrainien… entièrement féminin.

Non : les Viagra Boys ont choisi de s’appeler ainsi pour se foutre de la gueule du masculin contemporain. Les pogos, autrement dit la danse virile par essence, broient cette fois la notion de masculinisme. En live, Sebastian Murphy régale, il est torse nu, le ventre pas forcément en accord avec les critères idéaux du sex-symbol débraillé dans le rock. Il serait un peu un pendant mâle de la «body positivity», avec qui plus est ses tatouages d’animaux qui recouvrent l’ensemble de sa peau et qui donnent l’impression, de loin autant que de près, qu’il porte un t-shirt, alors qu’il est juste bien dans ses pompes en alternant, de son propre aveu, les tractions à la salle de sport et les mouvements du bras qui consistent à porter les pintes jusqu’à sa bouche. Sur le front, Murphy s’est fait tatouer le mot «détendu», et c’est une sacrée ironie, en y réfléchissant bien, puisque c’est l’effet inverse qui est recherché en gobant du viagra.

Du rire
au premier degré

Viagra Boys, c’est l’anti-Stranglers, groupe punk puis post-punk qui s’est construit une réputation de machos et de misogynes. Pour refléter ce nom et le genre – punk drôlatique, rock sarcastique –, les Scandinaves vont droit au but dès leur premier single, Sports, dont le mot, répété à l’envi, sonne comme une forme d’aliénation dans les oreilles des mâles, jusqu’à le hurler à s’en déchirer les tripes et à en chialer.

Pour la suite, il est bien question de tourner au ridicule, davantage encore que le bras de fer, le concours de bites – c’est adapté au sujet –, le tout sur des riffs mordants ainsi qu’une boîte à rythme chamanique qui appuie sur les bons boutons où le «headbanging» revient à danser de la tête comme à approuver le propos. Il y a aussi le saxophone d’Oskar Carls, instrument peu courant dans le punk, qui se retrouve quand même chez X-Ray Spex, Psyschedelic Furs ou Siouxsie and the Banshees, et puis la voix de baryton du leader allumé.

Les clips n’échappent pas à la gaudriole, à l’instar de Man Made of Meat, titre qui aborde l’art contemporain d’un œil rieur, mais autrement, l’addiction au téléphone est pointée du doigt, et représentée par l’une des vignettes de la pochette de Cave World (2022), à travers un type qui sniffe une ligne de coke sur son portable.

Il y a encore, dans le cocktail molotov des Viagra Boys, de la théorie du complot, du conspirationnisme (vu par un chien, sur Uno II), de la politique (l’extrême droite sur Street Worms), des trolls et bien d’autres fléaux de l’époque selon le combo qui inciteraient à dire «no present». Mais la pilule bleue de ces Suédois est garantie sans effet secondaire autre que le bonheur.

Ce samedi, à 19 h. Rockhal – Esch-sur-Alzette.

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