Retrouvez la critique cinéma de la semaine.
Face aux guerres, à l’économie balbutiante, au populisme grimpant et, bien sûr, à la crise climatique, la nouvelle génération s’interroge, à raison, sur le sens et le besoin d’avoir (ou non) un enfant. Devenir parent, n’est-il pas d’abord un geste orgueilleux et aveugle, surtout face à de telles perpectives d’avenir ? La réalisatrice française Fleur Fortuné, qui signe ici son premier long métrage après des années à faire des clips (notamment pour M83 et Travis Scott), pousse la réflexion encore plus loin avec un film dystopique qui questionne la parentalité au cœur d’un monde morcelé et ruiné, aux naissances drastiquement contrôlées. Elle n’est pas la première à y songer – on pense notamment au roman Brave New World d’Aldous Huxley – mais elle le fait à sa manière : surréaliste, glaçante et austère.
Dans The Assessment, la planète telle qu’on la connaît aujourd’hui a traversé le pire : famines, maladies, extinction. Les indésirables et les dissidents sont abandonnés sur les terres ravagées du «vieux monde». Les autres, venant des hautes sphères de la société, vivent désormais dans une zone tempérée, protégés de la radioactivité ambiante et des perturbations atmosphériques par un dôme. Mais cette élite doit se conformer aux injonctions d’un gouvernement autoritaire. Ainsi, parmi les principales règles à respecter en raison des ressources limitées, celle, pour les couples désirant avoir un enfant, de se soumettre à une évaluation (c’est le titre du film en français) afin de juger s’ils seront de futurs bons parents. Un processus «mystérieux» et «obscur» auquel consentent Mia et Aaryan.
C’est un cauchemar!
La première, incarnée par Elizabeth Olsen (vue dans de nombreux Marvel) est une biologiste qui, dans une serre à l’ancienne, cultive de nouvelles espèces de plantes. Le second, joué par Himesh Patel (Yesterday, Don’t Look up), est un scientifique qui cherche à recréer virtuellement des animaux de compagnie, ces derniers ayant été éradiqués de la surface de la Terre. Dans leur maison ultramoderne gérée par une IA et située au bord de la mer, ils vivent une existence paisible jusqu’à l’arrivée de Virginia (Alicia Vikander, ex-Lara Croft dans Tomb Raider), l’examinatrice en question, qui s’incruste chez eux pour une semaine entière d’examens scrupuleux et de tests protocolaires. Et c’est elle seule qui pourra, ou pas, les autoriser à avoir un bébé. Mais ce qui s’apparente au départ à des formalités administratives va vite virer au «cauchemar».
En effet, sous ses airs de Marie Poppins qui se serait perdue dans un épisode de The Handmaid’s Tale, elle va se montrer intrusive, manipulatrice et provocatrice. Le couple vacille progressivement quand elle le guette, cachée, en train de faire l’amour, ou quand elle lui soumet un jeu de construction que même le plus pervers des techniciens de chez IKEA n’aurait pas imaginé. Pire : elle va rapidement troquer son rôle de bureaucrate et de nounou «old school» pour adopter celui d’un nourrisson capricieux qui fait valser les plats, multiplie les colères et réclame une attention de tous les instants. Un tout-pouvoir face auquel les deux hôtes, au bord de l’explosion, ne savent pas quoi faire. Doivent-ils êtres stricts? Indulgents? Oui, devenir parents, c’est en effet une grande responsabilité, mais surtout, ça se mérite!
Présenté l’année dernière au festival de Toronto avant une discrète sortie en salle aux États-Unis et en Allemagne, c’est directement en streaming, sur Prime Video, qu’est sorti cet objet intriguant. À la vue du passé de sa réalisatrice, The Assessment bénéficie d’abord d’un grand soin apporté à l’esthétisme, à travers un huis clos en clair-obscur dans une sorte de maison cathédrale, à la décoration qui mêle le minimalisme à la Le Corbusier, et celui d’un Piet Mondrian. Mais la production de Fleur Fortuné, inspirée de sa propre expérience de mère, est également un moyen de s’interroger sur la procréation, acte naturel mis en péril par l’état d’un monde essoufflé et déjà surpeuplé. N’est-elle pas l’expression primaire de la cupidité humaine, de son indifférence à ce qui l’entoure et de son besoin de combler son irrationnelle finitude?
Il y a de quoi se questionner, notamment quand le seul héritage qu’on laisse est un univers froid et désolé, comme celui du film. La jeune cinéaste, à l’instar de la série Black Mirror, va rester focalisée sur cette question, braquant sa caméra sur ce «trouple» et n’offrant par ailleurs que peu d’indices sur ce qui se passe en périphérie, dans cette société déchirée par les rapports de classe et les politiques dictatoriales. Certes, dans une fin qui ne se justifie pas vraiment, elle va chercher à donner quelques précisions, mais l’essentiel est ailleurs. Et à ceux qui, après visionnage, se demandent toujours s’il est raisonnable d’avoir un enfant ou non, la réponse pourrait être celle-ci : le plus agréable, ça reste d’essayer.