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[Album de la semaine] «Something About April III», un parfum de Brésil


Artiste clé du renouveau de la soul music au tournant des années 2000, Adrian Younge est ce mystérieux génie aux mille facettes qui a voulu dompter le paysage sonore de la grande époque de Stax et Motown tout en redéfinissant les contours musicaux du rap de son temps.

En parfait autodidacte, il a appris les instruments (piano, basse, guitare, batterie) et s’est lancé dans la composition de façon obsessionnelle et traîne depuis une réputation d’«artiste rap préféré de ton artiste rap préféré».

Souvent samplé, producteur pour quelques rares – et heureux – élus (Kendrick Lamar, Wu-Tang Clan), le natif de Los Angeles jongle habilement entre soul, jazz, funk, hip-hop et musique de films. En 2020, celui qui prône dans son art un retour aux techniques de l’ère prédigitale a entamé la collection «Jazz Is Dead» avec son ami Ali Shaheed Muhammad (ex-A Tribe Called Quest) : 23 albums à leur actif (le prochain est prévu en juillet) dans lesquels ils revisitent et rendent hommage à leurs influences – qui, de Roy Ayers à Tony Allen en passant par Lonnie Liston Smith, ont tous, tôt ou tard, adoubé Adrian Younge.

C’est peu dire que son exploration des langages du jazz a infusé dans son expression musicale – preuve en est, le monumental album-concept The American Negro (2021), quasiment un manifeste politique. Alors, quand Adrian Younge offre à Something About April, l’un de ses projets cultes, un troisième et dernier tour de piste, force est de constater qu’il y voit un moyen d’embrasser sa propre mythologie pour mieux en repenser les traditions.

Car, s’il s’est fait remarquer dès 2009 grâce au film Black Dynamite et sa BO – forcément – explosive, l’artiste est véritablement né une décennie plus tôt, avec l’EP Venice Dawn (2000), une collection de sons psychédéliques au parfum d’Italie qui, une fois retravaillés, deviendront l’album Something About April (2011). Un jalon dans sa discographie.

Mieux : une démonstration magistrale de son savoir-faire et de ses envies de grandeur – puisque le disque est présenté comme la bande originale d’un film qui n’existe pas. Adrian Younge, l’amoureux du hip-hop venu à la musique soul par les samples, devient à son tour échantillonné un peu partout (chez Jay-Z, Common, Talib Kweli, Schoolboy Q…). Et prend une sacrée étoffe, si bien qu’avec Something About April II (2016), aux orchestrations plus amples et aux instrumentations richissimes, il signe son chef-d’œuvre. Près de dix ans plus tard, c’est toujours un classique.

Adrian Younge rend avec son langage propre tout ce que la musique brésilienne lui a donné

Dans son ensemble, l’aventure Something About April est à elle seule un répertoire, un grand cahier musical dans lequel Younge consigne les leçons apprises, les expérimentations, les références incontournables de son univers (Ennio Morricone, Isaac Hayes, le Wu-Tang Clan, Minnie Riperton, Goblin, The Delfonics, Portishead…). Dans ce sens, Something About April III offre une mise à jour pour celui qui, dans les années récentes, semble être tombé dans la marmite des maîtres du groove à la brésilienne – Marcos Valle, Azÿmuth et Hyldon ont tous eu droit à leur album «Jazz Is Dead».

C’est donc tout naturellement que la langue portugaise et les sonorités cariocas dominent dans ce nouvel album, Younge assurant que sa finalité est bel et bien la même qu’avec les deux précédents : rendre avec son langage propre tout ce que cette culture lui a donné. La filiation s’entend immédiatement, avec les notes de clavecin (l’instrument emblématique du projet) qui ouvrent le disque, lançant la soul psychédélique de A Música Na Minha Fantasia.

Plus loin, Adrian Younge, toujours sous le nom de Venice Dawn – un pseudo qui englobe le multi-instrumentiste et ses choristes, cette fois pour un casting exclusivement brésilien – revisite à la sauce soul la samba (Ainda Precisa Do Sol), la bossa nova (O Som Do Amor) et plus généralement la MPB (Nossas Sombras, Sorrir Na Chuva…), incorporant dans sa mixture savante et complexe des rythmiques strictement jazz ou hip-hop, mais aussi quelques sublimes parties de guitare électrique (notamment dans la ballade rétro Poxa Meu Amor). Avec ses rythmes obsédants derrière leur nonchalance feinte, Something About April III invente en fin de compte sa propre idée d’un sentiment très brésilien, la saudade. Ce qui devrait suffire à faire entendre à quel point Adrian Younge est précieux.

Adrian Younge – « Something About April III »

Sorti le 18 avril

Label Linear Labs

Genre soul / jazz