Buenos Aires en résistance contre une attaque extraterrestre : la star du cinéma argentin Ricardo Darín revient à l’écran dans une série Netflix, adaptation d’une BD culte des années 1950.
Disponible depuis mercredi sur Netflix, El Eternauta retrace la lutte de Juan Salvo (Ricardo Darín) et d’un groupe de gens ordinaires s’improvisant héros pour survivre et organiser avec les moyens du bord la résistance face à une invasion sous forme d’une neige toxique meurtrière, puis de monstres aux airs de coléoptères géants, puis d’humanoïdes. «Ce sont des gens qui ne comprennent absolument pas ce qui se passe, face à quelque chose de totalement inattendu, de très hostile», résume l’acteur. «Et si on le raconte avec sérieux, dans n’importe quel coin du monde, des gens vont adhérer parce que quelque chose de similaire leur est arrivé.»
Rien de tel ne s’est jamais fait en Argentine
En six épisodes, la série adapte une BD de science-fiction mythique en Argentine, née en 1957, reprise et poursuivie dans les années 1970 et 1980 puis 2000 par des dessinateurs successifs. Le scénariste original, Hector Oesterheld, militant de gauche, compte parmi les milliers de disparus sous la dictature (1976-1983), conférant a posteriori un air à la fois visionnaire et tragique à la saga aux relents politiques. La BD était pionnière à son époque en ce qu’elle ancrait pour la première fois une histoire de science-fiction loin des lieux «classiques» de la science-fiction (Amérique du Nord, Europe, espace).
Le tout avec une saveur argentine, bien «porteña» (de Buenos Aires), parcourant des lieux emblématiques de la capitale tel le stade Monumental. Et évoquant l’amitié, la solidarité indispensable et la capacité à la débrouille, à « »faire tenir le tout avec du fil de fer », comme on dit chez nous», relève le créateur, scénariste et réalisateur de la série, Bruno Stagnaro.
«Personne ne se sauve seul»
Argentin, mais parlant à tous : avec sa BD, Oesterheld «lançait à la mer un message devenu avec le temps une devise, un leitmotiv, qui est que « personne ne se sauve seul ». Et ça a à voir avec l’histoire de la civilisation», médite Ricardo Darín. «Parce que c’est comme ça», insiste-t-il. «Parce que les peuples qui ont su survivre sont ceux qui se sont rassemblés, défendus côte à côte, se sont intéressés non seulement à ce qui leur arrivait individuellement, à leur groupe, leur famille, mais au-delà. Ceux qui ont ouvert leurs bras aux autres. Et je crois que ça sera éternel», ajoute Darín, en clin d’œil au néologisme du titre «Éternaute», «navigateur de l’éternité».
L’acteur évoque «l’énorme épuisement physique» du tournage – 148 jours, dont 113 pour lui – harnaché d’épais vêtements, d’un sac à dos, d’une arme, d’un masque, de bottes, dans une série d’action où «il faut sauter, tomber, se cogner, se battre dans de la neige artificielle…» «Autant de choses qui, à 25 ou 30 ans, passent sans problème, mais pour moi qui ai 114 ans (NDLR : Darín a 68 ans), c’est très pénible», rigole-t-il.
«Grand paradoxe»
Il avoue avoir douté au tout début, face au projet : «Je me suis dit : science-fiction ? Argentine ? Houla…» Il dit avoir senti la responsabilité d’une histoire culte, aussi. Puis, voyant «le respect» pour l’œuvre et le «sérieux» de la réalisation, «l’enthousiasme a pris le pas sur la prudence». «Rien de tel ne s’est jamais fait ici», dit-il à présent avec fierté. Tout en avouant, dans un contexte de cinéma argentin largement définancé sous l’austérité d’un gouvernement Milei ultralibéral, qu’il est «difficile d’avaler qu’on dépend désormais uniquement de l’intérêt éventuel d’une plateforme pour un projet, pour pouvoir réaliser des choses qu’on pourra montrer au monde».
Ricardo Darín, star internationale, premier rôle de l’oscarisé El secreto de sus ojos (2009) et des multiprimés Relatos salvajes (Damián Szifrón, 2017) et Argentina, 1985 (Santiago Mitre, 2022), déplore le «grand paradoxe» de voir ce cinéma argentin «tellement apprécié depuis longtemps hors de nos terres, et avoir chez nous des gens qui doutent de l’importance de le soutenir, le stimuler, le défendre». Pour autant, il se dit «confiant, pour de nombreuses raisons, que nous surmonterons cette situation. Car nous (Argentins) sommes très habitués aux crises, pour le meilleur ou pour le pire, nous avons une dynamique pour faire face avec beaucoup de force de caractère.» Comme des Éternautes?
El Eternauta,
de Bruno Stagnaro. Netflix.