Dans le quartier d’affaires de La Défense, les Parisiens oscillent entre fatalité et vigilance, après la révélation qu’une attaque kamikaze sur ce site réputé sensible a été déjouée la semaine dernière.
« Finalement, les 20 bagnoles devant le commissariat étaient plus justifiées que ce que je pensais », souffle avec résignation Édouard, 31 ans, en bas de la tour du groupe bancaire Société générale. Les sorties du RER qui dessert les lieux déversent leur flot de passants pressés. Entre manteaux d’hiver et attachés-case, des militaires en armes patrouillent, l’œil aux aguets. Le long des allées, des camions de police sont bien visibles.
Avec ses dizaines de sièges sociaux de grandes entreprises logés dans une forêt de tours, fréquenté chaque jour par 200 000 travailleurs et visiteurs, La Défense, à l’ouest de Paris, est le plus grand quartier d’affaires d’Europe. Symbole de la puissance économique française, il se sait depuis un moment exposé à la menace terroriste. Un carnage y a peut-être été évité de justesse peu après les attentats du 13 novembre : l’organisateur présumé des attaques, Abdelhamid Abaaoud, prévoyait une nouvelle action kamikaze à La Défense le 18 ou le 19 novembre, a révélé mardi la justice française. Le jihadiste belgo-marocain a été tué le matin du 18 novembre dans l’assaut de la police contre un appartement au nord de Paris dans lequel il était retranché.
« On scrute les regards, les attitudes »
« On sait très bien que ça va nous tomber dessus, alors on est prudent. A la limite, on attend que ça arrive, pour se dire que comme ça, ce sera fait », lâche Émeline, 25 ans, salariée du géant bancaire BNP Paribas. « On ressent la tension, les gens sont à cran », abonde Jocelyne, 35 ans. Cette juriste d’entreprise n’a guère « changé ses habitudes », mais a remarqué que les gens évitent de sortir du bureau à l’heure du déjeuner pour aller « notamment au centre commercial ».
Parmi les bâtiments faisant figure de cibles, le centre commercial des Quatre Temps, l’un des plus importants de France. A l’entrée de ce temple du shopping, la même scène se reproduit depuis quelques jours: les sacs à main sont passés au détecteur de métaux. Nahuel Raul, 31 ans, responsable d’une sandwicherie, se rassure : être « près de la sortie, c’est déjà ça ». « On écoute la radio, on regarde en permanence les infos, parce qu’ici, on est au premier sous-sol, et on se dit qu’on ne sera pas forcément au courant s’il se passe quelque chose dans les étages », note-t-il encore.
Pour Marie, 51 ans, qui vient souvent pour « faire les vitrines », « ça fait un peu peur ». Avec sa fille et son petit-fils âgé de 10 ans, « maintenant, on évite le ciné et le McDo, et on ne va au centre commercial que le matin : on se dit que s’ils veulent faire une attaque, ils le feront plus tard dans la journée, quand il y aura plus d’affluence ». Dans les transports aussi, régulièrement théâtre d’alertes au colis suspect, la méfiance a gagné les usagers : « davantage de gens prennent le bus au lieu du métro et du RER », a remarqué Clémentine, 23 ans, à la station La Défense.
La suspicion s’installe. « Par quoi ça passe ? On scrute les regards, les attitudes, on essaie de voir s’il y a quelqu’un avec un profil suspect… Les gros manteaux… On juge beaucoup, malheureusement », admet Émeline.
Au pied d’une des tours Total, Guy, salarié du géant pétrolier depuis 35 ans dans l’exploration-production, notamment en Libye, « se sent d’autant plus menacé que Total est présent dans les pays à risques ». « Du coup, quand on me demande, je ne dis plus où je travaille, ni quel est mon métier ». Lui aussi regarde plus que d’habitude autour de lui. « Et surtout à ce niveau-là », dit-il, les mains sur sa ceinture abdominale.
AFP