Accueil | Culture | [Cinéma] L’Indonésie aime se faire peur

[Cinéma] L’Indonésie aime se faire peur


Sorti en 2017, Satan’s Slaves, réalisé par le représentant majeur du genre, Joko Anwar, reste l’un des plus gros succès de l’histoire du cinéma indonésien.

Depuis les années 2010, une nouvelle vague de cinéastes friands de frissons et de mythes terrifiants multiplie les succès en Indonésie, où le genre horrifique domine désormais dans les salles obscures.

Entre les mâchonnements de pop-corn et les cris, les Indonésiens affluent dans les salles obscures pour frissonner devant des films d’horreur locaux dont la popularité a explosé ces dernières années. Aujourd’hui, ce genre domine les écrans indonésiens avec une majorité de productions et de succès au box-office inspirés d’histoires de fantômes et de monstres d’Asie du Sud-Est. «Nos parents et grands-parents utilisaient ces récits pour nous faire peur», explique Ekky Imanjaya, 52 ans, ex-président de la commission cinéma du Conseil des arts de Jakarta et enseignant en études cinématographiques. «Ces légendes font partie de nous.»

Selon le Conseil indonésien du film (BPI), 60 % des 258 productions indonésiennes en 2024 étaient des films d’horreur, représentant 70 % du public, soit 54,6 millions de billets vendus. «Le succès de ce genre vient de l’accent mis sur les traditions et les monstres locaux», comme le Pocong, un fantôme enveloppé dans un linceul, assure Elang, un spectateur de 25 ans, à la sortie d’une projection. Pour Ajeng Putri, spectatrice de 29 ans, les films s’inspirant des légendes locales sont «plus faciles à comprendre, donc plus captivants». Ces mythes propres à l’Indonésie incluent le Tuyul (enfant mort-vivant) et la Kuntilanak (femme hantée par son enfant mort-né). Ces récits ont permis à l’industrie du film d’horreur indonésien de renaître au début du XXIe siècle, alors que presque aucun film du genre n’était produit localement à l’époque.

«Plus réalistes»

Selon Studio Antelope, société de production basée à Jakarta, «dans les années 1990, la production cinématographique indonésienne a drastiquement décliné». Sinematek Indonesia, qui conserve les archives, dénombre 456 productions entre 1990 et 2000, tous genres confondus. «Parmi elles, 37 étaient des films d’horreur», indique Wahyudi, 55 ans, un employé chargé des données. Mais depuis, le chiffre a explosé. Ainsi, il y a deux ans, le pays a décroché un record Guinness pour la plus grande proportion au monde de films d’horreur produits. L’an passé, le plus grand exploitant de salles du pays, XXI, a classé cinq films d’horreur dans son top 10, pour 27,8 millions d’entrées.

Le premier film d’horreur indonésien, Beranak Dalam Kubur, réalisé en 1971 sous le régime du dictateur Suharto (au pouvoir pendant trois décennies), a ouvert la voie – le film a même eu droit à un remake en 2008. Mais c’est dans les années 2010 qu’une «nouvelle vague» a émergé, selon Ekky Imanjaya. Une nouvelle génération de réalisateurs, dont Joko Anwar, Kimo Stamboel et Timo Tjahjanto, a «tout changé en produisant des films d’horreur indépendants de haute qualité», ajoute Ismail Basbeth, réalisateur de 39 ans basé à Yogyakarta, dans le sud du pays.

Après un ralentissement lié à la pandémie de Covid-19, l’industrie a rebondi avec KKN di Desa Penari (Awi Suryadi, 2022), basé sur une histoire virale elle-même basée sur un fait divers survenu à la fin des années 2000, et ses dix millions d’entrées. «Cela a lancé une nouvelle vague de films plus réalistes, inspirés de faits réels», souligne le réalisateur Nanang Istiabudi, 53 ans. Représentant majeur du genre en son pays, le réalisateur Joko Anwar mêle régulièrement mythes, réflexions politiques sur le passé récent de l’Indonésie et commentaire social dans des films tels que Ritual (2012) ou Satan’s Slaves (2017) – l’un des plus gros succès du cinéma indonésien – ou plus récemment sur Netflix avec la minisérie d’anthologie Joko Anwar’s Nightmares and Daydreams (2024).

Audience internationale

 En 2022, les cinémas indonésiens ont généré 120 millions d’euros de revenus, avec près de 59 millions de spectateurs, selon Film Indonesia. Plus globalement, d’après PwC Indonesia, l’industrie audiovisuelle a eu un impact significatif sur l’économie de l’archipel en 2022, représentant près de 400 000 emplois. Et le secteur devrait connaître une croissance de plus de 6 % jusqu’en 2027. Ce boom n’est pas passé inaperçu à l’étranger. En 2023, le Festival international du film de Busan, en Corée du Sud, considéré comme le plus important d’Asie, a mis en lumière le 7e art de l’archipel via un programme baptisé «la renaissance du cinéma indonésien».

Au-delà des mythes locaux, ces films exploitent aussi le thème de la religion, omniprésente en Indonésie, qui compte la plus grande majorité musulmane au monde. L’essor des plateformes de streaming a également élargi l’audience internationale, explique Ismail Basbeth. Même des petites maisons comme Avantgarde Productions exportent à présent vers les pays voisins. «Nos derniers films sont sortis en Malaisie, à Singapour et Brunei, et nous négocions avec le Vietnam», autre contrée dont le fort intérêt envers le genre horrifique avait fait l’objet d’une rétrospective au dernier festival international du Film fantastique de Gérardmer, début 2025, détaille Marianne Christianti Purnaawan, productrice de 27 ans basée à Jakarta. «Les films indonésiens marchent à l’étranger car ils sont uniques, exotiques et inimaginables», conclut Ekky Imanjaya.

Newsletter du Quotidien

Inscrivez-vous à notre newsletter et recevez tous les jours notre sélection de l'actualité.

En cliquant sur "Je m'inscris" vous acceptez de recevoir les newsletters du Quotidien ainsi que les conditions d'utilisation et la politique de protection des données personnelles conformément au RGPD .