Pierre a percuté une voiture et gravement blessé ses occupants. Mais était-ce de sa faute? Le parquet n’est pas en mesure de le prouver avec certitude et requiert son acquittement.
Pierre rentrait chez lui au volant de son Audi A4 grise après avoir fêté son 64e anniversaire en famille. À 17 h 55, il percute de plein fouet l’Audi A3 de Joseph et Marie Joséphine. Le couple de personnes âgées est gravement blessé.
L’accident a lieu le 6 janvier 2019 à l’intersection de la N16 entre Ellange-gare et Remich, avec une route menant à Wellenstein. Six ans plus tard, vendredi matin, l’accident a fait l’objet d’une audience de la 9e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Faute de preuves tangibles incriminant le presque septuagénaire, la représentante du ministère public requiert son acquittement.
Joseph venait de s’engager sur la route principale quand Pierre a déboulé. Il fait nuit et la chaussée est mouillée. Pierre prétend avoir braqué son volant vers la gauche pour tenter d’éviter la voiture du couple. Peine perdue.
Marie Joséphine décèdera deux mois plus tard des suites de l’accident après avoir, de même que son époux, été plongée dans le coma artificiel pendant deux mois.
Une conduite sous influence d’alcool et à vitesse dangereuse est reprochée à Pierre, en plus de l’homicide involontaire et des coups et blessures involontaires. Il présentait un taux de 0,51 gramme d’alcool par litre de sang.
Un témoin et un expert accidentologue prétendent que l’Audi A4 circulait rapidement sur cette route limitée à 90 km/h.
Aucun problème technique ne serait à l’origine de l’accident, affirme ce dernier dont les calculs lui ont permis d’établir que la collision entre les deux voitures était « inévitable » à quelques exception près.
«L’Audi A3 s’était déjà engagée sur la voie prioritaire et l’Audi A4 a pu au dernier moment tenter de l’éviter», semble être le scénario le plus probable, selon lui. «La voiture de Pierre circulait à une vitesse de 120 à 140 km/h d’après mes simulations, et celle des victimes à une vitesse de 5 à 15 km/h. » Un témoin confirmera à la barre avoir été dépassé puis très vite distancé par une voiture grise correspondant à celle du prévenu.
Mais alors, pourquoi les deux conducteurs ne se sont-ils pas aperçu plus tôt de leurs présences respectives? Me Stoffel, l’avocate de Pierre, a insisté auprès de l’expert pour comprendre si les deux voitures pouvaient présenter des phares défectueux avant l’accident.
L’accidentologue ne peut ni l’infirmer, ni le confirmer. Pierre explique qu’un SUV noir circulait devant lui et lui obstruait la vue. Ce SUV aurait bifurqué sur la route de Wellenstein et c’est à ce moment que le prévenu aurait aperçu la voiture du couple.
Il est malheureusement le seul à faire état du véhicule. Un appel à témoins lancé par la police quelques jours après l’accident n’a pas permis de le retrouver.
Le jeune homme que Pierre aurait dépassé dangereusement affirme ne pas avoir vu de SUV devant lui. Il prétend également que, contrairement à la version de Pierre, ce dernier ne se serait pas arrêté en bord de route pour se soulager après l’avoir dépassé.
«Le courage du parquet»
Les inconnues s’accumulent dans ce dossier. Tant et si bien que la représentante du ministère public est forcée de reconnaître qu’elle ne peut, à l’exclusion de tout doute, prouver la culpabilité de Pierre.
Elle a donc requis l’acquittement du retraité des préventions d’homicide involontaire et des coups et blessures involontaires. La magistrate s’est contentée de réclamer une interdiction de conduire de six mois pour conduite sous influence et une amende à son encontre.
Un réquisitoire salué par Me Stoffel qui a souligné le «courage du parquet» avant de plaider en faveur du dépassement du délai raisonnable et de remettre en cause le rapport d’expertise.
L’avocate reproche à l’accidentologue de ne pas avoir pris en compte la chaussée mouillée dans ses conclusions – bien qu’il ait affirmé le contraire à la barre, rendant les résultats de ses calculs erronés.
«La distance de freinage est doublée sur une chaussée mouillé », affirme Nicky Stoffel. L’expert l’avait estimée à une centaine de mètres. Elle affirme également que son client s’en tenait à la vitesse autorisée.
L’avocate s’est ralliée au parquet et a réclamé l’acquittement de Pierre tant au pénal qu’au civil, faisant valoir la force majeure comme cause exonératoire de sa responsabilité.
Joseph, lui aussi décédé entre temps, aurait commis une faute en s’engageant sur la chaussée. La fille et la petite-fille du couple ont chacune réclamé 25 000 euros à Pierre pour la perte d’un être cher, Marie Joséphine.
L’assureur de Pierre lui demande également de rembourser plus de 19 000 euros.
Le prononcé est fixé au 22 mai prochain.