Parfaitement escorté par son équipe UAE, le Slovène Tadej Pogacar a remporté comme en 2023 la Flèche Wallonne, au sommet du mur de Huy.
Il fallait ouvrir en grand les yeux. Et fixer Tadej Pogacar droit dans les yeux. Oui, pas de doute possible, c’était bien lui qui venait de s’imposer en haut du chemin des Chapelles où la pluie, qui une bonne partie de la journée avait copieusement arrosé la campagne environnante sur les bords de la Meuse, débordait encore des rigoles. Le Slovène portait bien son maillot arc-en-ciel salopé par la boue, mais son visage portait les stigmates causés par le froid et l’effort. C’est comme s’il avait pris dix ans! Bref, «Pogi» était littéralement méconnaissable au moment où il coupa la ligne d’arrivée de la Flèche Wallonne pour la deuxième fois de sa carrière. Il se précipita dans les bras de ses coéquipiers dévoués et fila effectuer un brin de toilette avant les obligations protocolaires.
On voyait dans son rictus le masque de la souffrance. Et on devinait aussi un sentiment de vengeance assouvie après sa deuxième place trois jours plus tôt dans l’Amstel Gold Race, où contre toute attente, il s’était fait chiper le succès par ce malin de Mattias Skjelmose, victime dans cette Flèche Wallonne d’une chute avant le final.
Dans cette journée pluvieuse où on vit rapidement d’anciens vainqueurs comme le Belge Dylan Teuns ou l’Anglais Stephen Williams, dernier vainqueur en date, jeter l’éponge, on imagina longtemps que le match à trois imaginé avant la course se tiendrait au détail près. Tadej Pogacar restait entouré de sa garde de guerriers impavides des UAE Emirates. Remco Evenepoel, œil noir du challenger surmotivé, également. Seul Thibau Nys, esseulé depuis la chute de plusieurs de ses lieutenants, dont le fameux Skjelmose, faisait franchement grise mine. De ce point de vue, sa huitième place relève du miracle. Car les choses étaient quand même mal emmanchées pour le jeune puncheur belge avant l’amorce du Mur de Huy.
Que les choses soient claires, la Flèche Wallonne reste la Flèche Wallonne. Une course phagocytée par le juge de paix qu’est le Mur de Huy. Pogacar ou non. Evenepoel ou non. Par temps sec ou sous la flotte comme ces deux dernières années. Pas moyen d’y échapper. D’ailleurs, l’échappée à cent pour cent norvégienne dans sa dernière version à trois têtes a perduré bien au-delà de ce qui était prévisible. Quand même pas au-delà du raisonnable, puisque après la dernière ascension de Cherave, tout le monde s’est regroupé. Comme toujours. Pour mieux aborder la troisième et dernière ascension du Mur de Huy. Cette fois, alors on saurait…
Quand j’ai vu le panneau des 200 m, là, je me suis dit : merde, c’est encore loin !
Le peloton avait logiquement rompu, ne laissant que les plus robustes devant. La bataille ferait bien rage. Mais pschitt… Car finalement, c’est presque sans attaquer, après avoir été placé sur orbite par Brandon McNulty, son dernier lance-missile, que la fusée Pogi décolla. Aux 400 mètres. Sans avoir eu à lever les fesses, bien assis sur sa selle, il fit sauter et Ben Healy et Remco Evenepoel. Tout simplement. «J’ai vu que Ben et Remco calaient. Je me suis efforcé de poursuivre mon effort sans me retourner ni regarder en arrière. J’avais trop peur d’être repris, car le Mur de Huy, c’est long…» Celui qui s’est exprimé ainsi n’est pas Tadej Pogacar, mais Kevin Vauquelin, excellent deuxième, comme l’an passé!
Tadej Pogacar, lui, se rengorgeait d’ajouter un deuxième succès dans cette Flèche Wallonne qui lui convient, puisque le Slovène est décidément tout-terrain. Tout juste s’il confessait un peu de souffrance, pourtant bien réelle. «Quand j’ai vu le panneau des 200 m, là, je me suis dit : merde, c’est encore loin! Ce dernier kilomètre est vraiment l’un des plus durs dans le cyclisme…», confessait ce grand collectionneur.
«C’est une sensation magnifique de remporter pour la deuxième fois cette classique, qui est une très belle course. Mon équipe a appliqué à merveille notre stratégie, qui était de durcir la course. J’ai été parfaitement emmené par mon équipe et lorsque j’ai vu Ben Healy revenir à ma hauteur dans le mur, je me suis dit : OK, il a l’air de vouloir aller plus vite. Alors j’ai accéléré un peu et quand j’ai regardé par-dessus mon épaule, j’ai vu que personne ne tenait ma roue. On reprendra la même stratégie dimanche pour Liège-Bastogne-Liège», promettait le vainqueur au moment des confessions d’après-course.
On imagine alors que sous un soleil annoncé retrouvé, «Pogi» aura repris sa mine d’enfant terrible. Évidemment, il n’en sera pas moins dangereux. Plus que jamais, ce sera le favori numéro un, en route pour le triplé après ses succès en 2021 et 2024. Ah ces foutus chiffres. Alors qu’il suffit tout bonnement de bien ouvrir les yeux pour voir à qui on a affaire et mesurer la dimension des champions…