Les salariés de Liberty Steel Dudelange étaient rassemblés au pied du ministère de l’Économie ce mardi. Depuis la faillite en novembre, leur situation s’est encore dégradée.
Une cinquantaine de salariés de Liberty Steel Dudelange ont interpellé le Comité de conjoncture réuni mardi matin au ministère de l’Économie, soutenus par l’OGBL et le LCGB, qui avaient laissé leurs gilets rouges et verts au vestiaire pour mieux signifier leur unité dans ce dossier abracadabrant.
Depuis la faillite de leur usine, prononcée fin novembre au terme de six années de marasme, ils sont plongés dans le flou, suspendus à la finalisation de la vente au géant de l’acier Tosyali Holding.
Un flou entre faillite et rachat
Le groupe turc a, en effet, introduit une offre de rachat en février, comprenant la reprise de l’ensemble du personnel, mais pour couvrir la période entre la faillite et la vente, rien n’est légalement prévu pour les travailleurs, qui se retrouvent sans contrat de travail.
«Le repreneur effectue un audit complet et prépare son business plan, ce qui prend un certain temps. Or, en parallèle, on ne dispose d’aucun moyen juridique pour placer les salariés sous contrat et maintenir leurs droits sociaux», résume Robert Fornieri, membre du comité de direction du LCGB.
«Il achète une activité, mais sur un terrain appartenant à l’État, ce qui engendre aussi des discussions», poursuit Stefani Araujo, secrétaire central à l’OGBL. «Puis, il faut créer une entité au Luxembourg et devenir employeur, tout ça retarde considérablement le processus.»
Des inégalités entre collègues
Avec une autre difficulté majeure : les différences transfrontalières sur les droits au chômage et à la Sécurité sociale, sources d’inégalités pour le personnel de cette seule et même usine.
Ainsi, les résidents luxembourgeois ont été indemnisés par l’Adem à hauteur de 80% de leur salaire dès le premier jour de la faillite, tandis que leurs collègues français n’ont perçu que 57% de la part de France Travail, à l’issue d’une période de carence pouvant atteindre plusieurs mois.
«Concrètement, certains n’ont plus de remboursement chez le médecin ou à la pharmacie, d’autres n’auront droit au chômage qu’au mois de mai et restent sans aucun revenu. C’est intenable», décrit le syndicaliste, rejoint par Robert Fornieri. «C’est un véritable casse-tête, avec des incohérences qui ont de lourdes répercussions.»
Conséquence directe : avec le départ de dizaines de personnes, le savoir-faire technique – plutôt rare sur le marché de l’emploi – se perd à vitesse grand V.
«Ils étaient 147 salariés au moment de la faillite, aujourd’hui, on approche plutôt la centaine», pointe Stefano Araujo. «Malheureusement, ils ne pouvaient plus se permettre d’attendre, ils sont partis ailleurs ou ont fait valoir leurs droits à la pension.»
«Il ne me restait que 1 400 euros»
C’est le cas de Bernard, 58 ans, qui n’avait pas prévu de prendre sa retraite si tôt : «Ce n’était pas ce que je voulais, mais je n’ai pas eu le choix. Après trois mois sans salaire et des soucis de santé, les difficultés se sont accumulées, malgré l’aide spéciale de l’État», confie ce frontalier français.
«Je n’aurais pas touché de chômage avant juin, et il ne me restait que 1 400 euros. Quand la retraite m’a été accordée, j’ai vraiment soufflé.»
«Le plus dur à vivre, c’est l’incertitude»
La reprise de l’usine, il y croit, mais ça peut être encore long, alerte-t-il auprès de ses collègues. S’il se sent soulagé pour la suite, il vit cependant avec une impression d’inachevé et a encore du mal à réaliser qu’il est retraité. «Je continue à soutenir mes camarades auxquels je suis très lié après tout ce qu’on a traversé.»
Sylviane, elle, ne perd pas espoir et compte bien réintégrer l’usine où elle a passé 38 ans, dès que possible. «Pour l’instant, je m’en sors, mes enfants m’aident. Le plus dur à vivre, c’est l’incertitude», souffle-t-elle. «On se trouvait déjà au chômage partiel depuis longtemps… À force, on ne sait plus pourquoi on se lève le matin.»
Date butoir au 31 mai
À 57 ans, cette secrétaire technique est à une année de la retraite. Impossible de décrocher un nouvel emploi dans ces conditions. «Le meilleur des scénarios serait de tous retrouver nos postes. On connaît parfaitement notre outil de travail, on peut former des nouveaux.»
Elle garde le moral grâce aux balades en forêt avec son chien, mais n’ignore pas que d’anciens collègues sont au fond du trou.
Les syndicats, le curateur et le repreneur ont fixé la date butoir du 31 mai pour boucler le transfert d’activité et rouvrir les contrats de travail. «On s’en rapproche, mais sans aucune garantie», note l’OGBL.
Mardi, le Comité de conjoncture a affirmé à l’unanimité sa volonté d’agir, tandis que le ministre du Travail, Georges Mischo, venu échanger avec les travailleurs, a indiqué que des pistes étaient à l’étude. Il a affiché son optimisme pour une signature de la vente dans les prochaines semaines.