Les enfants terribles du hip-hop de Belfast ont fait danser et rapper en irlandais au célèbre festival californien de Coachella, une étape «importante» pour ce trio qui défend sa langue comme un cri «anticolonialiste» face à la puissance britannique.
Mo Chara, Moglai Bap et DJ Provai, qui forment le trio Kneecap, ont produit un set exubérant de leur hip-hop teinté d’énergie punk désespérée devant un public survolté, dont certains portaient des cagoules tricolores irlandaises (la marque de fabrique du groupe), dansant, sautant et criant sur leurs tubes H.O.O.D. et C.E.A.R.T.A., qu’ils en comprennent ou non les paroles en gaélique. Après la sortie en 2024 de leur album Fine Art et de leur biopic sur le modèle du docu-fiction Kneecap (Rich Preppiatt, 2024), jouer à Coachella est une autre «étape importante», s’enthousiasme DJ Provai, cagoule vert, blanc et orange sur la tête, dans les coulisses du festival.
Et leur concert électrisant a montré que leur résonance est désormais mondiale. «Nous ne pensions pas que le film trouverait un écho en dehors de l’Irlande», avoue Moglai Bap. «Mais en réalité (…) c’est une histoire internationale de langues opprimées, car la première étape du colonialisme, c’est évidemment d’éradiquer la langue et la culture», poursuit Mo Chara.
Se réapproprier la langue gaélique
Pour Kneecap, rapper en irlandais est un acte de résistance. L’irlandais gaélique n’a été reconnu comme langue officielle en Irlande du Nord qu’en 2022. «Lorsque vous perdez votre langue, vous ne comprenez plus d’où vous venez», dit le rappeur. «Nous avions 32 mots pour désigner un champ, en fonction de l’endroit où le soleil se levait ou s’il s’agissait d’un champ profond… Tout cela, vous le perdez avec ces nouvelles sociétés monolinguistiques», explique-t-il.
Selon Moglai Bap, se réapproprier sa langue fait partie intégrante du processus d’indépendance : il s’agit de remplacer la honte par la confiance. Et selon le trio, le hip-hop, forme d’art afro-américain né pour raconter les injustices, est un véhicule naturel. L’histoire, souligne Mo Chara, «est toujours écrite par les vainqueurs. C’est de là que vient le hip-hop : c’est l’histoire des gens qui n’ont jamais pu raconter leur histoire.» «Il donne une voix aux sans voix», renchérit DJ Provai.
Domination et liberté
Fondé en 2017, Kneecap, qui prône la réunification de l’Irlande, a remporté fin novembre un bras de fer judiciaire contre l’ancien gouvernement conservateur britannique qui lui refusait une subvention de 15 000 livres sterling (18 000 euros) en jugeant ses positions hostiles au Royaume-Uni. Une décision discriminatoire de la part du gouvernement, avait alors argumenté le groupe : «C’est une attaque contre la culture, contre l’Accord du Vendredi saint (NDLR : qui a mis fin à trente ans de conflit nord-irlandais en 1998), contre nous-mêmes et notre manière de nous exprimer», avait réagi le trio.
Sur la scène de Coachella, Kneecap s’en est donné à cœur joie, en lançant des mots choisis contre l’ancien Premier ministre Margaret Thatcher (1979-1990), mais surtout en interpellant le public sur la tragédie humanitaire que vit la population palestinienne dans la bande de Gaza. Une cause qui lui est chère depuis longtemps. «Nous venons de Belfast et de Derry, en Irlande, qui sont toujours sous domination britannique, ont-ils lancé au public de Coachella, mais il y a une autre occupation, bien pire, en ce moment : libérez la Palestine!»
Les artistes observent aussi avec inquiétude la vaste offensive de l’administration Trump pour museler toute expression pro-palestinienne, notamment dans les universités. «C’est évidemment une période assez effrayante pour les gens ici», relève Mo Chara. Et «c’est assez ironique pour l’Amérique, qui prône la liberté d’expression», ajoute Moglai Bap.