Issu des squats hollandais, le quatuor revient avec un nouvel album, If Your Mirror Breaks, débordant de passion et d’engagement, prouvant qu’après 46 ans d’existence, le groupe est toujours aussi inventif.
À l’heure où les vieux modèles, usés, dépassés, cherchent malgré tout à être encore crédibles aux yeux du public (à l’instar, entre autres, des Sex Pistols) et ramasser ce qu’il reste à prendre, et tandis que les jeunes enterrent trop vite le passé, il y a en un qui, année après année, répond avec force et élégance à la question qui revient comme une ritournelle : «Le punk est-il mort?». Bien sûr que non, à condition toutefois de respecter certains principes de base : être créatif, indépendant, libre et en mouvement, éviter la nostalgie et sortir régulièrement de sa zone de confort. Sur son site, The Ex synthétise l’idée en une formule : toujours «aller de l’avant» et «dans toutes les directions». Sa carrière en est une belle illustration.
Imaginez tout de même : ce groupe, issu des squats hollandais à l’aube des années 1980, va fêter cette année ses 46 ans d’activité, toujours aussi inventif qu’à la première heure. Ce qui a commencé avec une musique dépouillée et rageuse va se transformer en une palette impossible à étiqueter, qui s’inspire de tout style (rock, noise, jazz, punk, world, musique improvisée…) et qui se connecte régulièrement à d’autres musiciens, eux aussi libres comme l’air – dont le violoniste Tom Cora, décédé en 1998, dont la collaboration accouchera notamment du mémorable Scrabbling at the Lock (1991). C’est vrai, The Ex est «une éponge avide d’inspirations», lit-on encore. Mieux, «un générateur d’idées», une «ode à la vitalité».
Sur scène, du Brésil à l’Éthiopie, le quatuor, comme le recense leur site, a joué quelque 2 028 concerts (dont un au Luxembourg, en 2010 – l’honneur donc est sauf). En studio, plutôt qu’un décompte casse-tête, on se rappelle de Catch My Shoe (2010) – en référence à la chaussure qu’un journaliste arabe avait tenté de lancer à la face de Georges W. Bush lors d’une conférence de presse – et 27 Passports (2018), dernier en date, véritable hymne à la migration et la dramatique brutalité qui l’accompagne. Dans la foulée, si pour beaucoup, la pandémie a été un coup d’arrêt, pour The Ex, ça a été une sorte de recharge. Et une occasion, encore, de «revitaliser ou renverser les vieilles formules», explique-t-il sur Bandcamp.
Battez les tambours, soufflez les clairons!
Voilà donc If Your Mirror Breaks qui, en effet, ne révolutionne rien mais ne suit pas non plus les chemins balisés. Un disque dédié à Steve Albini (ami musicien et producteur décédé il y a un an) qui aurait sûrement apprécié ce recueil de nouvelles musicales, pour dix chapitres où il est question, à travers des textes surréalistes, d’avertissements et, en contrepoint, d’appels à l’action. Sensible au monde qui l’entoure, The Ex parle de doutes, d’insécurité et de détresse, mais ne met jamais un genou à terre. Car «une nouvelle force de vie se déploie pour ceux qui suivent le chant de leur âme. Toujours», clame-t-il dans la chanson Wheel. Leur longévité est la meilleure des démonstrations.
Pour le reste, le disque, dans un parfait équilibre entre tension et transe, débordant de passion et d’engagement, montre ce que la formation sait faire de mieux : trois guitares abrasives et saturées (dont celle de Terrie Hessels, membre fondateur) qui croisent le fer et multiplient les couches, orchestrées par le jeu astucieux de Katherina Bornefeld à la batterie, fine et percutante, sautillant de la cloche aux toms dans des rythmes qui ramènent aux terres africaines. Dessus, Arnold de Boer livre ses constats, dont celui, évident, que sa bande reste une nouvelle fois pertinente, même si les cheveux grisonnent et que les tournées sont plus dures à gérer.
Comme le clame la chanson d’ouverture, inspirée d’un texte du XIXe de Walt Whitman, l’un des plus importants poètes américains : «Battez les tambours, soufflez les clairons!». Oui, The Ex est de retour, vaillant, mordant et d’une jeunesse insolente. Punk un jour, punk toujours! Et ce n’est pas qu’une expression.
The Ex. If Your Mirror Breaks. Sorti le 4 avril. Label Ex Records. Genre punk / expérimental