Antoine de Caunes parle des relations entre père et fils en prenant l’exemple du sien, aventurier toujours sur le départ qui, en 1962, décida de passer une année en solitaire sur une île du Pacifique. Un hommage haut en couleur.
L’histoire
1962 : Antoine, 8 ans, voit son père – Georges de Caunes – tout quitter et partir sur une île déserte, Eiao, située à mille lieues du premier être humain, pour y tenir une chronique quotidienne sur la vie d’un Robinson moderne. 2025 : Antoine de Caunes, 71 ans, se rappelle son choc d’enfance et s’inspire des chroniques diffusées par son père et du journal intime que tenait alors ce dernier pour raconter cette aventure hors du commun.
Dans la famille de Caunes, il y a d’abord le père, Georges (1919-2004), journaliste radio puis pionnier de la télévision française, mais également auteur et comédien à ses heures. Comme si ça ne suffisait pas, il s’est aussi lancé dans des expériences extrêmes, comme partir en vadrouille dans les glaces polaires avec Paul-Émile Victor, ou se faire enfermer dans la cage d’un zoo pour mieux comprendre les réactions des primates face aux humains…
Il y a ensuite Antoine, le fils, acteur, réalisateur, grand connaisseur du rock et présentateur, lui qui a participé aux belles heures de Canal+, notamment quand il faisait le guignol aux côtés de José Garcia. Aujourd’hui, il ne fait clairement pas ses 71 ans. Ça tombe bien : avec Il déserte (sous-titré Georges ou la vie sauvage), ses premiers pas en BD, il retombe en enfance avec cette phrase qui claque en guise de préambule : «À l’âge de huit ans, j’ai perdu mon père».
Père hyperactif
On est en 1962, et le jeune garçon qu’il est ne saisit pas le nouveau projet de son père, hors norme : passer une année entière sur Eiao, île déserte de l’archipel des Marquises en forme de croissant, loin du monde des hommes et avec son chien pour seule compagnie, afin de «vivre la vie d’un naufragé» et «témoigner de la véritable vie d’un Robinson». Un périple qui, chaque soir, est raconté sur les ondes radiophoniques.
Pendant ce temps, à Paris, son fils, lui, essaie de faire face à l’absence de son papa, sans rien comprendre à ses motivations. Il en apprendra un peu plus quand, devenu adulte et lui-même père, il lira son journal intime, constatant que la réalité de l’expérience était très différente de ce qu’il avait bien pu en dire jusque-là. Antoine de Caunes tenait alors son histoire et l’occasion de rendre hommage à ce père hyperactif dont la devise était : «L’important, ce n’est pas d’arriver, mais de partir».
L’important, ce n’est pas d’arriver, mais de partir
Dans ce sens, Il déserte fait des allers-retours dans le temps, afin d’aborder plusieurs points de vue : celui de l’enfant délaissé qui «fantasme sur cette aventure» à l’autre bout du monde, celui de l’homme de 71 ans qui voit rétroactivement son père «comme un môme en train de faire des conneries», et enfin l’expérience de ce dernier, qui a tourné court puisqu’elle s’est achevée au bout de quatre mois.
Une épopée qui n’a rien, en effet, du «conte de fées» : Georges de Caunes constate rapidement que «l’île n’est pas un paradis mais la désolation à l’état pur». Il doit alors affronter la chaleur, la solitude, les moustiques, la faim, la soif, les esprits qui hantent l’île et une routine qui le ronge peu à peu. Au fil des jours, son enthousiasme s’émousse. Lui qui croyait se transformer en un personnage de L’Île au trésor, et qui rêvait d’être libre, constate qu’il s’est enfermé dans une prison à ciel ouvert.
De superbes trouvailles visuelles
Avec des références à Tintin comme aux romans de Daniel Defoe et de Robert Louis Stevenson, Antoine de Caunes dresse une histoire où se mélangent souvenirs et images oniriques – avec toutefois une accroche au réel, en fin d’ouvrage, quand il dévoile les photos et coupures de presse qui ont accompagné l’aventure de son père. En dehors de «l’exotisme» et du «spectaculaire» propres à cette expédition, il souhaite que ce récit dépasse le cadre de l’intime pour toucher l’universel car tout homme et tout fils sont confrontés, à des degrés divers, à l’absence, l’éloignement et à la difficulté de communiquer.
L’idée est bonne mais n’aurait pas un tel impact sans l’appui de Xavier Coste. Dernièrement, le dessinateur a fait parler de lui avec sa double publication à la gloire de George Orwell (1984 et Journal de 1985). Il récidive, en couleurs et en numérique, avec de généreuses doubles pages et de superbes trouvailles visuelles. Qu’on se le dise : inutile de chercher le chimérique trésor d’Eiao. Le voici!
Il déserte, d’Antoine de Caunes et Xavier Coste. Dargaud.