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[Musique] Lil Nas X, rap «queer»


(Photo : dr)

En 2019, le rappeur Lil Nas X fait son coming out sur Twitter. Depuis, son œuvre est marquée par le thème de l’homosexualité. L’Américain vient de sortir un nouvel EP, Days Before Dreamboy. Focus.

Homophobie et rap

L’équation rap plus homosexualité semble donner, pour résultat, un oxymore. Une antinomie? Ce n’est pas qu’un cliché : le rap est souvent viriliste, voire masculiniste, et les termes à connotations homophobes abondent dans les «lyrics», explicites dans ce sens-là aussi, même s’il y en a qui iraient trouver, chez les armoires à glace qui s’exhibent torse-poil, une image «crypto-gay». Le problème du rap, c’est parfois l’auditorat. Soit il en est féru et il se passe de toute critique à froid qui pourrait détériorer non pas le genre, mais l’image que le «grand public», soi-disant hostile, s’en ferait. Soit, comme il refuse de s’y pencher vraiment, il enchaîne les lieux communs, par-dessus la jambe, sans («street») crédibilité aucune parce qu’il n’y connaît rien. D’un côté, l’aveuglement, ou bien la surdité qui confine à l’absurdité, et de l’autre, l’ignorance qui fait que l’argumentaire antirap vaut tripette. En connaissance de cause, disons que le rap n’est, à l’origine, pas très «gay-friendly». Rappelons aussi que le rap est, à la base, un genre «de niche». Aujourd’hui, c’est l’hostilité envers le rap qui semble l’être, «de niche». Et les rappeurs étant désormais de toutes les origines, sociales et ethniques, il est logique qu’il finisse par intégrer une diversité des genres.

De Big Dipper à Tyler, the Creator

Depuis quelques années, il y a des rappeurs américains ouvertement homosexuels comme Mykki Blanco ou Big Dipper. Frank Ocean, certes pas un rappeur à proprement parler, mais un compagnon de route d’une multitude de MCs, a affirmé sa bisexualité. Prenons le cas de Tyler, The Creator. Le rappeur est connu, à la base, pour ses textes misogynes et homophobes. Il y a de quoi se demander si certains mots sont pensés, de la même manière qu’il y a des chanteurs de reggaeton qui balancent des propos très violents sur les gays, alors qu’ils ne se considèrent pas homophobes, mais parce que ça marche et que ça fait partie des «codes», c’est ce qu’ils débitent sur le beat.

Dans Martians vs. Goblins, Tyler, The Creator s’en prend au producteur et musicien Bruno Mars, «toujours en train de sucer des bites et de baiser des culs de mecs dans le placard où Tyler Perry trouve ses vêtements», jusqu’à clamer, dans Yonkers, qu’il aimerait le «poignarder en plein œsophage». Or, quand le même Tyler, The Creator sort Garden Shed, beaucoup voient, dans la «cabane de jardin», une métaphore du placard. Tyler, The Creator serait… gay? Ce twist improbable rappelle Bret Easton Ellis, lorsque, dans Lunar Park (2005), le romancier retranscrit ce qui a été dit en substance sur lui, quand il a fait son coming out dans la presse : «L’auteur d’American Psycho, le roman le plus misogyne jamais écrit, était en fait – gloups! – un homosexuel!?!»

Le son des minorités

Le fait d’être homosexuel dans le rap génère une distinction automatique. Une transgression donc. Il y aurait pourtant une certaine cohérence à ce que le rap accueille à bras ouverts les revendications d’une minorité telle que l’homosexualité, le genre s’étant érigé justement pour tendre le micro à une autre minorité, noire. Dans les années 1980, la house a fait cette conciliation naturelle entre les Afro-Américains et les homosexuels, conciliation synthétisée explicitement sur le t-shirt du Français Kiddy Smile, «Fils d’immigré, noir et pédé». L’homosexualité est un sujet dans les paroles de Lil Nas X, ou même les titres comme Need Dat Boy sur son dernier EP, Days Before Dreamboy. Dans l’imagerie, aussi. Il y a le clip d’Industry Baby, où «X» danse avec des prisonniers, nus, dans les douches. Il y a encore celui de Montero (Call Me By Your Name) qui n’a pas dû plaire à ceux que les performances des Jeux olympiques de 2024 ont outré puisqu’il mixe monde queer et références bibliques, le tout en tournant, non pas autour du pot, mais d’une barre de pole dance. Le rap et l’homosexualité, c’est possible.

Pour faire un parallèle musical, le postmodernisme a rendu envisageable la fusion de genres, a priori opposés, à l’image de Lil Nas X avec Old Town Road, qui est à cheval entre le rap et la country – et, au passage, le single le plus vendu de l’histoire. Lil Nas X fait du rap, certes, mais sur son dernier EP encore, du gospel, du R’n’B, du funk, et sa voix qui monte jusqu’au falsetto. Le rap, au fond, ne définit pas toujours un style mais une scansion, qui est, d’ailleurs, sans doute la plus appropriée pour les revendications, puisque le texte domine les mélodies.

Classé X

Le rap parle cash, cru. Du côté des femmes, c’est comme quand une autre Lil, Lil’Kim, cause de sexe, elle ne s’encombre pas de métaphores («Bouffe ma chatte comme il faut», dans Not Tonight), eh bien Lil Nas X, non plus, ne filtre pas ses déclarations, lorsqu’il affirme être un «rappeur power bottom», soit «celui qui est pénétré» ou «passif dominant» (au sens où il choisit de l’être). Et il est tout aussi explicite quand il dit, sur That’s What I Want : «J’ai besoin d’un garçon qui peut me faire des câlins toute la nuit». Dans Days Before Dreamboy, les lyrics sont à l’avenant, Lil Nas X y parle de son sexe, mais forcément, le sens n’est pas le même que chez ses confrères hétérosexuels, même si l’«ego trip» reste finalement unisexe. Mais, là encore, pour une compréhension plus percutante, les clips s’avèrent exubérants, comme celui de Hotbox qui renvoie au Barbie World de Nicki Minaj et Ice Spice – d’ailleurs, la vidéo du premier est réalisée par Elias Talbot, qui était le chef opérateur sur celle des secondes. C’est la vie en rose, à l’image de Lil Nas X. Il s’agit de danser, le rap du jeune américain est positif, énergique, c’est une catharsis, un moteur pour parler de ce qui semble être le tabou ultime du rap et pour piétiner les problèmes, le problème, ce problème, et danser encore à un tel point que ça n’en soit plus jamais un.

Days Before Dreamboy, de Lil Nas X.

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