Une prise en charge des personnes sans domicile atteintes de troubles psychiatriques voit le jour à Luxembourg.
La façon dont les sans-abri sont pris en charge dans le pays est régulièrement dénoncée par les travailleurs sociaux, les professionnels de santé et même la Commission consultative des droits de l’homme. En décembre, constitués en collectif, des professionnels interpellaient une fois de plus les autorités et appelaient à «des actions concrètes, réfléchies et adaptées aux personnes qui vivent dans la rue». Relayés par Solidaritéit mat den Heescherten (Solidarité avec les mendiants), ils écrivaient que «des vies (…) se brisent, des corps s’exténuent, des esprits se perdent».
Autant dire que la création, à Luxembourg, d’une maison réservée aux sans-abri souffrant de problèmes psychiatriques était attendue. Une première dans le pays. Voté à l’unanimité par la Ville, ce projet pilote n’est pas une surprise en soi – il était dans les cartons depuis 2022 – mais au moins en distingue-t-on, aujourd’hui, les contours plus nettement.
La Ligue luxembourgeoise d’hygiène mentale chapeautera le programme et devrait recevoir les premiers subsides dès ce 1er avril. Elle recrutera alors une équipe de neuf personnes, dont un médecin psychiatre, un assistant social et deux éducateurs gradués. Pour Vincent Navet, psychologue et psychothérapeute, chargé de direction de l’ASBL, l’ouverture de ce lieu, prévu au cours de l’année, est d’une absolue nécessité.
«On sait qu’il existe une corrélation entre des pathologies psychiatriques et le sans-abrisme, explique-t-il. Beaucoup de personnes qui se retrouvent à la rue souffrent déjà de pathologies psychiatriques ou alors en développent parce qu’elles vivent dans la rue.» Malgré l’absence de statistiques dans le pays, il s’attend à voir des individus touchés par «tout le spectre de la psychose (…), les troubles de l’humeur, notamment la bipolarité, les troubles de stress post-traumatique», sans oublier «la ribambelle de troubles associés, comme l’abus de substance».
«Ça ne leur enlève pas le droit d’être des citoyens»
Selon le dernier recensement établi en juin 2024, Luxembourg comptait 210 personnes sans domicile. «La Ville a évalué à plus de 80 personnes les sans abri qui pourraient avoir un trouble psychiatrique», indique une collègue de Vincent Navet, le Dr Sophie Housen, psychiatre et psychothérapeute, elle aussi chargée de direction à la Ligue.
Le fonctionnement, inspiré de ce qui se pratique à l’étranger, prévoit qu’une partie des membres de l’équipe sera affectée sur le terrain pour marauder, reprend le Dr Sophie Housen. «En collaboration avec les street workers qui ont déjà repéré ces personnes, l’objectif sera d’essayer d’entrer en lien avec elles et de leur proposer de s’installer dans une chambre. Puis, tout doucement, nous construirons un lien de confiance pour aborder les questions de santé, mais aussi les questions sociales et de projet de vie.»
Il ne s’agit pas, précise Vincent Navet, de faire de l’housing first, bien que ce type de concept, qui vise à proposer des logements à long terme à des SDF, manque d’un point de vue structurel. «L’idée est vraiment de pouvoir mettre en place un premier contrat thérapeutique avec la personne, détaille-t-il, pour qu’elle puisse se poser pour un moment dans un environnement sécure.» Le fait d’avoir une chambre peut «amener déjà une légère réduction des symptômes».
Située près de l’hospice civil de Hamm et réservée auparavant à des bénéficiaires de protection internationale, la structure compte huit chambres au rez-de-chaussée. Comment les riverains ont-ils accueilli la nouvelle? «Ce n’est pas dans un quartier d’habitation, mais je pense que ce n’était pas une volonté : c’est tout simplement parce que le bâtiment existait, explique le Dr Sophie Housen. Elle reconnaît que ces personnes sont stigmatisées, «mais ça ne leur enlève pas du tout le droit d’être des citoyens, nous sommes très sensibles au fait de travailler dans l’inclusion». «L’idée est qu’on soit juste un maillon, un tremplin vers le réseau classique qui, lui, est quand même intégré dans la cité», concluent les deux thérapeutes.
Corinne Cahen : «Ce n’est pas du tout pour sauver la face»
La création de cette structure réservée aux sans-abri souffrant de problèmes psychiatriques a été approuvée lors du conseil communal de la ville de Luxembourg du 3 mars. L’échevine Corinne Cahen revient sur ce projet.
Pourquoi cette maison voit-elle le jour maintenant?
Corinne Cahen : Quand j’étais ministre de la Famille, je me rendais compte que beaucoup de sans-abri avaient une instabilité ou un problème psychiatrique. (…) J’avais demandé à Caritas à l’époque d’embaucher une infirmière psychiatrique pour qu’elle s’occupe des gens qui venaient au foyer Ulysse, etc. Donc, tout ça a une histoire. Et quand j’ai eu la chance d’être élue et nommée échevine de la Ville, ce point a été inscrit dans le programme de coalition. C’est facile de l’écrire, mais c’est toujours difficile de trouver un endroit. Et là, on a eu beaucoup de chance d’avoir cette opportunité dans la Haus 1 avec huit chambres.
Les coûts se montent à combien?
Les frais sont estimés à 150 000 euros par an.
La création de cette maison est-elle une façon de compenser l’image que la Ville a pu avoir avec les arrêts antimendicité et le Platzverweis renforcé?
Non, pas du tout, parce que c’est un projet de longue haleine et qui me tient tout particulièrement à cœur. J’ai ouvert d’autres structures en tant que ministre et je continue à la Ville, puisque je suis d’avis qu’il faut aider les gens qui ont besoin d’aide, qu’il faut les stabiliser. Donc, voilà, ce n’est pas du tout pour sauver la face. Ça a vraiment à voir avec de l’aide à des gens très vulnérables.
