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[Critique série] «Adolescence» : Jeunesse à la dérive


Voilà deux semaines qu’il est difficile de passer à côté ou de ne rien entendre, à moins d’être totalement déconnecté ou de bouder les plateformes de streaming.

En famille, avec ses amis ou entre collègues autour de la machine à café, Adolescence ne laisse personne indifférent et cumule les louanges, comme les records d’audience : en onze jours, elle comptabilise ainsi pas moins de 67 millions de vues sur Netflix, dont 12 millions rien qu’en Grande-Bretagne. Outre-Manche, elle prend même les allures de phénomène : le premier ministre britannique, Keir Starmer, qui l’a vue avec ses enfants, compte la diffuser dans toutes les écoles du pays, tandis que le réputé Guardian, lui, ne mâche pas ses mots, considérant la série comme «la plus terrifiante de notre époque».

Pourquoi donc un tel succès? Pour ses sujets contemporains qui, en effet, inquiètent, désarçonnent et questionnent, mais également pour sa forme, ramassée en quatre petits épisodes de seulement une heure, tournés en plans-séquences, collant au plus près des personnages et empêchant le public de détourner le regard. Dès les premières minutes, le spectateur est happé, suivant l’arrivée de policiers armés jusqu’aux dents, rentrant de force dans une maison pavillonnaire pour mettre la main sur Jamie Miller, âgé de 13 ans. Fusil pointé sur son visage de poupon, on lui signifie ses droits. À 6 h 15 du matin précises, il est accusé et arrêté pour le meurtre d’une camarade, Katietuée de sept coups de couteau la veille au soir. La famille est abasourdie, en état de choc, crie à l’erreur judiciaire. «Il nous a rien dit, il n’a rien fait!», clame le père, joué par Stephen Graham, à l’origine de la série.

Ce dernier, que l’on avait découvert aux côtés de Jason Statham dans Snatch (2000) et qui, depuis, mène une carrière plus qu’honorable (This Is England, Public Enemies…), a été marqué par deux meurtres d’adolescentes, commis en l’espace de quelques semaines en Angleterre, par de jeunes hommes. En compagnie du scénariste Jack Thorne, il a évacué les réponses faciles et les coupables vite désignés, comme les parents, le système éducatif, la société ou encore la communauté, pour s’attacher à ce que l’on ne voit pas : le numérique et les réseaux sociaux, rythmant la vie des adolescent(e)s derrière les murs de leurs chambres. Avec, au fil des épisodes, cette même question en suspens : comment Jamie, avec son visage d’ange et sa famille aimante, se retrouve-t-il au centre de cette enquête criminelle?

On ne peut pas les surveiller tout le temps. C’est impossible!

Adolescence n’est pas une série policière, malgré un démarrage où il est question de mobile et d’arme du crime. Rapidement, elle ne cherche plus à répondre à la culpabilité, ou non, du jeune garçon (la réponse est d’ailleurs livrée sans équivoque), pour mieux aborder, au-delà de la simple fiction, ce qui la tourmente : les attaques au couteau qui font régulièrement la une des journaux (surtout en Grande-Bretagne), l’influence des masculinistes comme Andrew Tate et des discours misogynes, et l’impossibilité de contrôler la vie en ligne des plus jeunes, où le harcèlement côtoie les moqueries et les coups de pression. ll y est aussi question du langage employé sur les réseaux, hors de portée des adultes, concernant notamment l’idéologie «incel» (pour «célibataires involontaires», désignant des hommes qui ont peu de succès auprès des femmes et se mettent à nourrir une haine à leur égard).

En temps réel, sans le moindre jugement moral, ni pathos, la série, accrochée à la caméra de Philip Barantini (qui retrouve Stephen Graham après Boiling Point en 2021, déjà filmé en plans-séquences), multiplie les points de vue et les lieux : elle suit la délicate procédure administrative dans le commissariat, file dans la «jungle» de l’école en compagnie d’un policier dépassé par ce qui se dit et se fait sur Instagram, TikTok et Snapchat, s’attarde sur un entretien (hypnotisant) menée par une psychologue dans un centre de formation sécurisé, et étudie les répercussions de l’arrestation de Jamie auprès de sa famille et du voisinage, avec cette douleur et ce sentiment de culpabilité qui ne quitte pas les proches. Adolescence, avec brio, sonde finalement une époque sans filtre, aux codes invisibles et à la popularité vénéneuse. Comme le dit le lieutenant Bascombe, non, «personne n’aime ce genre d’affaire». Les parents encore moins.

Adolescence de Jack Thorne & Stephen Graham avec Stephen Graham, Owen Cooper, Ashley Walters…

Genre drame

Durée 4 X 60 mn

Netflix