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[Littérature] Catherine Cusset : sa vie avec Proust


(Photo : francesca mantovani)

Une affirmation : «Un modèle humain et littéraire», très vite infirmée : «Un modèle dont je suis le contre-modèle». Le premier, c’est Marcel Proust (1871-1922) et auteur, entre autres, de la suite romanesque À la recherche du temps perdu.

La seconde s’appelle Catherine Cusset, 62 ans, entrée en littérature en 2000 avec Le problème avec Jane et auteure du tout récent Ma vie avec Marcel Proust, dans une collection des textes qui proposent «la révélation du compagnonnage d’une vie [qui] leur donne un tour intime, sans notes ni appareil critique, bien inutiles pour parler d’un ami».

Donc, l’ami intime de Catherine Cusset, dont le précédent livre était titré La définition du bonheur (2021) est Marcel Proust, grand ordonnateur des libertés et des faux-semblants, et fin observateur de la société aristocratique et bourgeoise du XIXe siècle à son crépuscule et du XXe siècle en son aube. Et c’est peu de dire et d’écrire qu’elle le connaît sur le bout des yeux puisque, la somme qu’est À la recherche du temps perdu (trois mille pages!), elle l’a lue intégralement à trois reprises. «À quinze ans, comme le grand romand de l’amour; à vingt ans, comme le grand roman de la société; à cinquante ans, comme le grand roman de l’écriture », note-t-elle dans le prologue.

Proust n’est pas difficile. Il me fait du bien…

Et dans un entretien, elle glisse : «Ce que j’ai aimé à quinze ans chez Proust, c’est que ce ne sont que des histoires d’amour. Ça commence par l’amour pour la mère, j’étais extrêmement proche la mienne. Au début du roman, dans l’attente du baiser, de la mère, du père et de l’enfant, je me suis complètement retrouvée». Et un aveu à l’adresse tous ceux qui rejettent Proust au prétexte qu’il serait aujourd’hui illisible : «Proust n’est pas difficile. Il me fait du bien. Je le lis et relis pour me remonter le moral; pour écarter l’angoisse du vide; pour rire; pour me morigéner; pour me moquer de moi. Pour croire en moi».

À l’occasion des célébrations du centenaire de la mort du romancier, la philosophe Ayyam Sureau évoquait «l’immense édifice» que demeure son œuvre où l’on peut y voir les «panaches de plumes mauves ou blanches» des lilas ou le manteau royal de coquelicots «couleur de rouge à lèvres». Et ajoutait : «Il demeure, comme Shakespeare, le compagnon intime de tout lecteur qui prend plaisir à se sentir vivre». Catherine Cusset explique, elle, que «tout au long d’ À la recherche du temps perdu, il dit qu’il n’arrive pas à écrire, qu’il est paresseux, qu’il procrastine, il parle aussi de sa nullité intellectuelle, qu’il n’est pas assez bon, pas assez brillant et en plus de ça, il ne croit même pas à la valeur littérature… Ce passage par le doute chez Proust est suivi d’une certitude d’autant plus forte».

En trois grandes parties – «le grand roman de l’amour», «le grand roman de la société» et «le grand roman de l’écriture» -, Catherine Cusset, souvent présentée comme maîtresse dans l’art de l’autofiction (à tort ou à raison?) raconte donc Marcel Proust. «Son» Marcel Proust, plus précisément chacun des trois qui l’a marquée à jamais à trois moments de sa vie d’adolescente, de femme, d’écrivaine… La lecture d’À la recherche du temps perdu lui a appris l’amour – qui serait, selon Proust, «impossible» parce qu’«on n’aime plus personne quand on aime». Explication de Cusset : «La seule façon d’arriver à se faire désirer, c’est de ne plus désirer soi-même. En fait, je pense que cette philosophie de l’amour vient du fait que l’amour pour ce jeune homme homosexuel au début du XXe siècle et à la fin du XIXe était impossible».

Un ouvrage et un auteur, aussi, qui l’ont amenée à l’écriture. Confidence et aveu : «L’écriture, c’est tout ce que j’ai envie de faire, et c’est un bonheur mais où on ne rit pas tous les jours. Le nombre de fois où je me sens nulle, où j’ai l’impression de repousser ce rocher jusqu’en haut de la montagne, puis qu’il retombe le lendemain et qu’il faut recommencer. C’est un sentiment dont parle très bien Marcel Proust».

 

Catherine Cusset – « Ma vie avec Marcel Proust »

Gallimard