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Artemisia Gentileschi, «héroïne de l’art» et de la résilience


Elle est l’une des rares femmes peintres de l’Histoire à avoir connu le succès de son vivant, vécu de son art et été indépendante. Artemisia Gentileschi est une artiste du XVIIe siècle au destin hors norme. Découverte.

Rare femme peintre adulée dans toute l’Europe de son vivant, Artemisia Gentileschi (1593-vers 1656) fait l’objet depuis mercredi dernier au musée Jacquemart-André, à Paris, d’une rétrospective inédite par son ampleur et qui éclaire d’un jour nouveau son destin tragique. Une quarantaine de tableaux et quelques dessins, de nombreux venus de l’étranger, sont ainsi présentés par thème. Ils retracent un parcours marqué par ses débuts à 16 ans dans l’atelier de son père, Orazio Gentileschi, à Rome, son émancipation progressive sous l’influence du Caravage, maître du clair-obscur au réalisme cru, et la violence de sa propre histoire.

Elle se fera un nom à part entière au sein d’un milieu extrêmement masculin

À l’âge de 17 ans, elle signe son premier tableau, Suzanne et les Vieillards, parmi les œuvres exposées. Quelques mois plus tard, elle est violée dans la maison familiale par un peintre et collègue de son père, Agostino Tassi. S’ensuit alors un procès, dont les actes sont conservés dans les archives, durant lequel elle est torturée (elle a notamment les doigts broyés) pour attester la véracité de ses accusations, rappelle Pierre Curie, commissaire de l’exposition avec Patrizia Cavazzini et Maria Cristina Terzaghi.

Musicienne et poète

Intitulée «Artemisia, héroïne de l’art», cette rétrospective est à voir comme «une remise à niveau de tout ce qu’on peut penser de cette artiste, longtemps considérée comme la fille de son père», selon Pierre Curie. «On a découvert énormément de tableaux dans les dix dernières années, les attributions s’affinent et on comprend mieux sa place dans la diffusion du caravagisme. La découverte de documents permet aussi de mieux comprendre la complexité de son parcours», ajoute-t-il.

Des grands formats aux portraits, des objets aux plissés et transparences des étoffes et carnations, sa maîtrise de la technique et un sens aigu du détail permettent à cette personnalité hors du commun – musicienne et poète à ses heures – un traitement sans équivalent de la figure féminine. Sa Vierge à l’Enfant s’apprête ainsi à donner un sein, très réaliste, à un nourrisson agité. Ses autres modèles sont souvent des héroïnes, telles les figures bibliques Judith et Yaël, la Romaine Lucrèce ou l’Égyptienne Cléopâtre, violentes ou victimes de violences.

Scènes théâtrales

Rare femme peintre à représenter des femmes nues à son époque, Artemisia Gentileschi en accentue la sensualité – et la sienne dans ses autoportraits – par des postures et des scènes théâtrales. Les gestes sont presque cinématographiques et les personnages très expressifs, qu’il s’agisse d’un sourire mélancolique, d’une colère ou d’une extase, jusqu’à une forme d’érotisme morbide.

L’artiste n’hésite pas non plus à représenter l’action violente, comme on peut le voir dans les tableaux Judith et sa servante, qui portent nonchalamment la tête décapitée du général Holopherne dans un panier, ou encore Yaël et Sisera, dans lequel l’héroïne biblique s’apprête à fracasser la tête du général oppresseur à l’aide d’un burin. L’exposition s’ouvre sur plusieurs grands tableaux de son père et d’elle-même commandés par les cours de France et d’Angleterre ainsi que sur une copie du plafond qu’elle l’a aidé à achever dans la Maison de la Reine à Greenwich (Londres) entre 1638 et 1640.

Déguisée en homme

«Elle part du modèle de son père et adopte le caravagisme, avant de se lier aux artistes napolitains et d’adopter aussi leur style, dans une sorte de versatilité et d’adaptabilité qui sont peut-être une résilience», avance Pierre Curie. Des Médicis au duc de Bavière jusqu’au roi d’Espagne, Artemisia Gentileschi «se fera un nom à part entière au sein d’un milieu extrêmement masculin, avant de tomber dans l’oubli en même temps que la peinture caravagesque dans la deuxième moitié du XVIIe siècle», souligne-t-il.

Une série de petits portraits dessinés d’artistes européens masculins résidant à Rome en 1620 la montre dotée d’une moustache et déguisée en homme, semblant parfaitement intégrée à ce groupe. Femme artiste, mariée un temps, elle a eu plusieurs enfants, mais seule une fille survivra. Après avoir vécu à Rome, la peintre a habité à Florence, avant de revenir dans sa ville natale puis de gagner Venise de 1626 à 1629 et Naples de 1630 à 1638. C’est là qu’elle terminera sa vie, après un passage à Londres de 1638 à 1640, mourant vers 1656, probablement de la peste.

«Artemisia, héroïne de l’art»
Jusqu’au 3 août.
Musée Jacquemart-André – Paris.

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