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Des plateaux de cinéma plus sûrs grâce aux coordinatrices d’intimité


Paloma Garcia Martens, Rose Ryan et Julia Effertz ont pu discuter des différentes facettes de leur métier. (Photo : fabrizio pizzolante)

À l’occasion du LuxFilmFest, trois coordinatrices d’intimité sont venues parler de leur métier. Un poste encore récent mais qui prend de l’ampleur sur les plateaux de tournage.

Affaire Weinstein, scandale Depardieu… Depuis près d’une dizaine d’années, les langues se délient dans le milieu du cinéma face aux comportements de certains hommes. Dans le sillage de #MeToo, les choses ont doucement commencé à changer et le secteur a dû s’adapter pour proposer des environnements de travail plus sereins tant pour les actrices que pour le reste de l’équipe. Parmi ces évolutions : l’arrivée des coordinateurs d’intimité. Ceux qui en font profession ont pour mission de préparer les scènes de sexe ou intimes pour que le consentement des actrices, mais aussi des acteurs, soit respecté.

Le LuxFilmFest a décidé cette année de s’emparer du sujet en organisant une table ronde réunissant trois coordinatrices d’intimité : Paloma Garcia Martens, travaillant essentiellement en Belgique et en France, Rose Ryan, habituée des plateaux anglo-saxons, et Julia Effertz, venue représenter le cinéma germanophone. Un casting qui rappelle que ce métier est majoritairement exercé par des femmes, même si des hommes sont bien présents, notamment aux États-Unis. Face à un public principalement composé de professionnels, elles ont pu parler de leur métier, relater leurs expériences et donner des conseils.

Si c’est avec la série américaine The Deuce, diffusée sur HBO, que le métier a été officialisé pour la première fois, Paloma l’a découvert grâce à une autre série, Normal People. «Les scènes d’intimité, le langage et la narration physique autour du consentement étaient si puissants, si vrais», se souvient-elle. Travaillant sur les plateaux comme habilleuse depuis 2009, puis comme comédienne à partir de 2014, elle avait été choquée par la manière dont les interprètes pouvaient être traités lors d’un tournage. «J’ai travaillé sur La Vie d’Adèle», explique-t-elle. En 2013, Abdellatif Kechiche avait été vivement critiqué, notamment par ses deux actrices principales, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos, pour les conditions de tournage imposées lors de la réalisation des scènes de sexe. L’idée d’une reconversion va peu à peu germer dans l’esprit de Paloma. En 2021, après le confinement, elle décide de changer de carrière et se lance dans la coordination d’intimité.

Intervenir
le plus tôt possible

Avant d’avoir une personne dédiée à ces questions, des réflexions existaient déjà sur les scènes intimes, mais tout était traité de manière très artisanale. Les coordinateurs d’intimité ont permis de donner un nouveau cadre, plus strict, et une meilleure prise en charge. Mais leur rôle ne se cantonne pas à veiller au bon déroulement de ces scènes compliquées. «L’idéal est d’intervenir dès le scénario», précise Julia Effertz. Pour Paloma, il est aussi important d’être présent au casting pour expliquer aux acteurs ce qu’on attendra d’eux et leur demander ce qu’ils sont prêts à faire.

Une fois sur le plateau, la coordinatrice est là pour réfléchir à la manière dont la scène doit être filmée pour satisfaire tout le monde. Au-delà du consentement de chacun, cela passe aussi par des détails techniques : quel sera le cadrage, la lumière utilisée… «C’est comme une chorégraphie. On n’imagine pas faire une cascade sans préparation, pour les scènes intimes, c’est pareil.» Plus cette préparation a été minutieuse, plus le tournage se passera sans accroc. Car même le réalisateur ou la réalisatrice peut être gêné par le fait de diriger de telles scènes.

En cas de malaise sur le plateau, la coordinatrice est là pour intervenir. À elle de bien observer ce qui se passe pour résoudre les problèmes. «Je suis la reine des conversations gênantes», lance Julia. «Il faut beaucoup d’observation et une grande capacité d’analyse sociale ainsi que des qualités de communication», affirme Paloma.

On n’imagine pas faire une cascade sans préparation, pour les scènes intimes, c’est pareil

La diplomatie est fortement utile dans ce métier. Travaillant en France et en Belgique – elle a aussi participé au tournage de Stargazer au Luxembourg –, Paloma voit bien que le chemin est encore long. Les pays francophones sont largement en retard sur les pays anglo-saxons à propos de ces questions «Quand je raconte mes expériences à Rose, elle hallucine. On ne fait pas le même métier.» Son arrivée sur un plateau n’est pas toujours des plus appréciées. Son rôle n’est pourtant pas de censurer l’équipe, mais bien de trouver comment raconter l’intimité tout en protégeant actrices et acteurs. Un rôle bien loin de la police morale que certains imaginent, même s’il faut savoir hausser le ton quand c’est nécessaire. «Quand j’arrive sur un plateau, les gros lourds se calment sur leurs blagues. Cela m’arrive de devoir les recadrer, mais normalement ils devraient se recadrer eux-mêmes.»

Un manque de cadre légal et de formation

Nouveaux venus sur les plateaux de cinéma, les coordinateurs d’intimité manquent encore de soutien de la part des pouvoirs publics. «Il n’y a pas de cadre légal», regrette Paloma Garcia Martens. Face à ces lacunes, certains producteurs tentent même de faire signer des contrats obligeant les acteurs à tourner certaines scènes intimes, ce qui est totalement illégal. La question de la formation est également très complexe. Paloma Garcia Martens a suivi plus de 260 heures de formation dans des pays anglo-saxons. La participation à ces cours, extrêmement chers, n’est couverte par aucune aide, ce qui limite l’accès à ce métier. «On se bat avec l’Afdas (NDLR : qui a pour mission de financer l’apprentissage dans les métiers de la culture) pour créer une formation en France.»

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