Accueil | Culture | [Album de la semaine] «City Of Clowns» : Marie Davidson sous haute tension

[Album de la semaine] «City Of Clowns» : Marie Davidson sous haute tension


Marie Davidson, chanteuse, productrice et DJ montréalaise, cultive malgré elle les contradictions. Figure féminine d’importance de la scène électronique actuelle, elle aime pourtant l’ombre des clubs à travers lesquels elle impose son statut d’outsider, de celle qui joue avec ses propres règles.

Et si avec elle, les machines sont omniprésentes, derrière leurs pulsations, il est surtout question de la place l’homme face à la technologie, à qui il s’offre sans retenue, et sans recul. Pour tout cela, elle a toujours eu du mal à accepter la lumière et les sollicitations, surtout après Working Class Woman (2018), un disque explosif collant parfaitement à son époque et aux nouveaux paradigmes nés du mouvement #Metoo. Son tube Work It, remixé, ira même jusqu’aux Grammy Awards. Trop pour elle? Sûrement.

Car après son projet collaboratif avec L’Oeil Nu, groupe d’amis avec qui elle partage son appétit pour l’expérimentation binaire et la pop (Renegade Breakdown, 2020), elle ressent l’envie de prendre une pause pour mieux réfléchir à l’industrie musicale et les contraintes imposées par les réseaux sociaux. Elle arrête alors les concerts, coupe le wifi et se plonge dans la lecture du pamphlet de la sociologue américaine Shoshana Zuboff. Un pavé de 700 pages intitulé The Age of Surveillance Capitalism qui raconte comment les géants du numérique analysent les données comportementales sans considération pour ceux qui se trouvent derrière, transformant alors les humains en simples accessoires, loin de la promesse initiale d’une cybersphère égalitaire et libertaire.

À l’heure où tout semble hors de contrôle, il fallait donc le rappeler, le marteler même. Marie Davidson va s’en donner les moyens, elle qui, déjà en 2018, disait dans son morceau The Tunnel : «Je n’ai pas besoin d’un casque VR pour ressentir des émotions / La réalité est suffisamment dégoûtante»). Elle affirme ses positions dans l’entêtant single Sexy Clown : «Ces dernières années, j’ai été bien trop amicale / Tu aimes quand je suis méchante? /Tu trouves ça sexy?». Chose dite, chose faite, en mots et en beats : alors qu’elle se montre plus bavarde qu’à l’accoutumée, et plus revendicative pour parler de l’état du monde, elle enrobe son sombre constat d’un son puissant et technoïde, idéal pour agiter les pistes de danse. Une musique, donc, qui s’adresse autant au corps qu’à l’esprit.

Encore une fois, elle n’a pas fait les choses à moitié. D’abord en quittant le prestigieux label anglais Ninja Tune, pour lequel elle a conçu ses deux derniers albums. Ensuite en rejoignant l’écurie belge de Deewee, derrière lequel on trouve Soulwax, véritable institution au plat pays, portée par les frères David et Stephen Dewaele. C’est déjà eux que l’on retrouvait derrière le remix de Work It, loué jusqu’à Los Angeles. Et c’est encore eux qui permettent à Marie Davidson de concocter un dix titres sans fausse note, qui fait remuer la tête et les jambes, accompagnés dans cette tâche par son collaborateur de toujours (et compagnon à la ville), Pierre Guerineau. Pas vache, elle leur laisse même le soin de conclure City Of Clowns, sixième disque en son nom, avec leur version de Y.A.A.M.

Tous vos culs sur la piste / Tous vos culs sont à moi

Dessus, la Canadienne libère le clown qui est en elle, combinaison entre la figure du joker, du fou du roi (ou plutôt de reine folle) et de lanceuse d’alerte. Façon sucre sur la dent cariée, elle s’attaque aux algorithmes et aux datas avec une écriture furieuse et drôle, à l’image de ce premier morceau, Validations Weight, qui mélange sa voix… avec celle de Polly, la synthèse vocale d’Amazon. Les autres titres, bien plus bondissants que cette introduction, font des clins d’oeil et des appels du pied réguliers à l’électronique des années 2000, matinée de funk et de disco, mais aussi à l’acid house. De sa voix monocorde et dans un débit robotique, parfois en français dans le texte, elle alterne humour et menace durant 48 minutes impeccables, concluant sa démonstration par la phrase : «Tous vos culs sur la piste / Tous vos culs sont à moi». Une façon bien à elle de dire que, face à des réseaux sociaux devenus fachos, l’IA à tout crin et les plateformes musicales rêvant de se passer des artistes, le mieux à faire, c’est de se déconnecter, et de danser.

Marie Davidson – City Of Clowns

Sorti le 28 février

Label Deewee

Genre électronique

 

Newsletter du Quotidien

Inscrivez-vous à notre newsletter et recevez tous les jours notre sélection de l'actualité.

En cliquant sur "Je m'inscris" vous acceptez de recevoir les newsletters du Quotidien ainsi que les conditions d'utilisation et la politique de protection des données personnelles conformément au RGPD .