Le carnaval de São Paulo est loin d’avoir la même renommée internationale que celui de Rio de Janeiro, mais les festivités ne cessent de prendre de l’ampleur ces dernières années dans la plus grande métropole d’Amérique latine.
La rivalité séculaire entre les deux villes les plus peuplées du Brésil se décline sur un nouveau terrain : d’un côté São Paulo, poumon économique du pays et royaume du béton, et de l’autre Rio de Janeiro, ancienne capitale en bord de mer et haut lieu du tourisme, entre autres grâce à son carnaval. Mais celui de São Paulo «est mieux organisé, avec de meilleures infrastructures», dit Junior Dentista, directeur de l’école de samba Mocidade Alegre, double championne en titre du carnaval pauliste. «Notre carnaval a beaucoup grandi, autant financièrement que pour sa capacité à attirer du public», ajoute-t-il.
Le défilé des écoles de samba est considéré comme le point d’orgue du carnaval, qui attire des touristes du monde entier venus admirer aux côtés des familles brésiliennes les chars monumentaux et les légions de danseurs aux costumes chatoyants. À Rio comme à São Paulo, ce spectacle grandiose qui est aussi une compétition entre les différentes écoles a lieu dans un sambodrome, une enceinte en forme de longue avenue entourée de gradins. Tous deux ont été conçus par le célèbre architecte Oscar Niemeyer, mais celui de Rio peut recevoir environ 80 000 spectateurs, près de trois fois plus que dans la capitale économique.
Le carnaval a permis à notre culture de sortir dans la rue
Deusdete Gonçalves, octogénaire qui défile depuis près de 30 ans avec Mocidade Alegre, reconnaît que les défilés de São Paulo n’ont pas encore atteint le niveau de ceux de Rio, «plus évolués», notamment pour ce qui concerne costumes et chorégraphies. Les principaux défilés de São Paulo ont lieu le vendredi et le samedi, alors que ceux de Rio commencent à partir du dimanche, ce qui évite toute concurrence pour l’audience des retransmissions en direct à la télévision.
Mais au-delà du sambodrome, le carnaval brésilien a aussi lieu dans les rues, où déambulent les «blocos», cortèges musicaux qui font vibrer des fêtards par milliers. Et dans ce domaine, São Paulo a pris le dessus cette année, du moins en termes de chiffres, avec 767 «blocos», contre 579 en 2024 et 482 à Rio pour cette édition 2025.
Ale Youssef, cofondateur du «bloco» Academicos do Baixo Augusta, qui affirme être «le plus grand de São Paulo», se félicite de l’expansion récente du carnaval de rue dans la métropole. «Nous avons une vie culturelle très riche, mais avant, tout avait lieu dans des lieux fermés», expliquait-il il y a quelques jours lors d’une répétition qui a rassemblé 6 000 personnes.
«Le carnaval a permis à notre culture de sortir dans la rue, rendant la ville plus humaine et plus inclusive», estime-t-il. São Paulo fait aussi la part belle à la diversité, avec des invitations lancées à des «blocos» originaires d’autres régions et des rythmes autres que la samba, comme le funk (genre brésilien inventé dans les favelas de Rio) ou l’axé (musique née dans la région de Bahia).
«Bientôt, le plus grand carnaval de rue du Brésil», a claironné récemment la mairie de São Paulo sur Instagram. De quoi s’attirer les sarcasmes des grandes métropoles du nord-est du Brésil, où le carnaval de rue est roi et attire les foules depuis des décennies. «Merci pour l’hommage», a ainsi ironisé la mairie de Recife, comme si cette publication la concernait – d’autant plus qu’elle montre des danseurs munis de petits parapluies multicolores, symboles du frevo, le rythme traditionnel de cette ville du Pernambouc. Recife détient le record du plus grand «bloco» homologué par le Guinness des records, Galo da Madrugada, qui a drainé 2,5 millions de personnes en 2023.
À Rio, Monica Ieker, qui fête ses 50 ans dans un «bloco» déguisée en champignon, argumente que «la joie est plus spontanée» chez elle qu’à São Paulo. «Regardez ce paysage, regardez cette énergie. São Paulo n’a rien de tout ça!», lance-t-elle. «Je suis de São Paulo, mais je préfère Rio. Ici, y a moins de « blocos », mais il y a la plage», renchérit Douglas Santos, 36 ans, la poitrine recouverte de paillettes dans le légendaire quartier d’Ipanema.