Le projet de loi qui devait permettre aux bourgmestres, en particulier à Lydie Polfer, de décider d’un éloignement des auteurs d’incivilités vient d’être recadré par le Conseil d’État.
D’un côté, les habitants de la capitale, et particulièrement ceux du quartier Gare, attendent des actions fortes de la commune et du gouvernement pour assurer leur sécurité. De l’autre, le Conseil d’État démonte le projet de loi sur le renforcement du Platzverweis en émettant une demi-douzaine d’oppositions formelles. Les auteurs du projet de loi visant à donner des outils aux bourgmestres dans leur lutte contre les incivilités devront revoir leur copie, qui se résume à deux articles.
Les Sages partagent ainsi l’avis rendu par le procureur général d’État, qui avait averti que les mesures proposées représentaient une entrave à la liberté de circuler, protégée par la Constitution. Martine Solovieff, au micro de RTL radio avait, en début d’année (alors qu’elle occupait encore la fonction) prévenu que le Conseil d’État ne laisserait pas passer ça.
Selon les termes du projet de loi, la police grand-ducale peut procéder à un rappel à l’ordre d’une personne qui «se comporte de manière à troubler la tranquillité, la salubrité ou la sécurité publiques». Ces notions sont «trop vagues pour déclencher la prise de mesures restreignant des libertés publiques», expriment les Sages. En raison du caractère vague de la terminologie utilisée, la disposition en question ne répond pas aux impératifs de sécurité juridique, en concluent-ils. Il s’agit en l’occurrence des mesures d’éloignement d’un périmètre donné pendant 48 heures, pouvant en cas de non-respect s’étendre à 30 jours.
La Haute Corporation rappelle la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle, selon laquelle il est nécessaire de définir dans la loi les éléments constitutifs des infractions «en des termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire». Les intéressés doivent pouvoir «mesurer exactement la nature et le type des agissements sanctionnés», dit la Cour constitutionnelle.
Ensuite, le projet de loi autorise la police grand-ducale à procéder à un rappel à l’ordre de toute personne qui «se comporte de manière à importuner des passants sur la voie publique et dans les lieux accessibles au public». Là encore, le Conseil d’État, comme avant lui les autorités judiciaires, regrette l’absence de critères objectifs dans le texte. Le fait d’importuner une personne ou d’être importuné par une autre personne «est le résultat d’une appréciation subjective, tant des personnes impliquées que de la police grand- ducale». Il en résulte un risque d’arbitraire qui s’ajoute «au caractère ambigu de l’emploi de la notion de « lieux accessibles au public », qui vise d’ordinaire également des lieux comme les cafés, restaurants, cinémas, halls sportifs ou théâtres».
L’huissier de justice et le SDF
Le projet de texte offre aux bourgmestres la possibilité d’ordonner une interdiction de pénétrer dans un périmètre donné pour les auteurs d’incivilités, mais pour le Conseil d’État, le projet de loi reste muet sur le point essentiel «des critères en fonction desquels le bourgmestre ordonne une interdiction temporaire de lieu, cette décision étant simplement facultative». Encore une fois, les Sages mettent en garde contre «le risque d’arbitraire» et suggèrent «un abandon pur et simple de cette partie du projet de loi».
La Haute Corporation se demande encore comment l’huissier de justice devra procéder pour effectuer la notification d’une mesure d’éloignement, dans l’hypothèse où le destinataire n’a pas de domicile et pas de résidence connus.
Et enfin, plusieurs avis émanant des autorités judiciaires ont soulevé l’absence d’indication d’un recours contre la décision du bourgmestre d’interdire au fautif de pénétrer dans un périmètre défini. «En l’absence de disposition spéciale, le droit commun doit trouver application», rappellent les sages en précisant que «contre toute décision administrative faisant grief, un recours en annulation peut être introduit devant le Tribunal administratif dans un délai de trois mois à compter du jour où la décision a été notifiée au requérant, ou du jour où le requérant a pu en prendre connaissance».