Cette semaine, Le Quotidien a choisi d’écouter le dernier album de Seu Jorge, Baile à la Baiana, sorti le 17 février sur un label indépendant
Au Brésil, peu d’auteurs-compositeurs-interprètes, même les plus doués, ont été aussi influents que les noms les plus respectés de la musique populaire brésilienne (MPB) des années 1950 à 1980 (Chico Buarque, Gilberto Gil, Gal Costa, Milton Nascimento, Tim Maia…). Et s’il y en a un, il s’agit bien de Seu Jorge, qui traîne son aura de légende et plusieurs vies depuis maintenant une paire de décennies.
Sacré dès le début de sa carrière pour avoir apporté un souffle nouveau sur la MPB, avec ses premiers groupes puis en solo à la fin des années 1990, Seu Jorge est resté un homme de collaborations, à l’image de sa carrière d’acteur – depuis le personnage iconique de Manu le Coq dans Cidade de Deus (Fernando Meirelles et Kátia Lund, 2002) à son apparition toute récente dans Asteroid City de Wes Anderson.
Quitte à consacrer aux deux – ses rôles devant la caméra et les collaborations musicales – une grande partie de ses dix dernières années. Quoi qu’il en soit, son retour à la musique en solo n’en a l’air que plus décidé, puisque Seu Jorge, extrêmement rare sur les scènes européennes, accompagne son tout nouvel album pour une tournée de quelques dates ramassées sur une semaine – dont la Rockhal, le 29 mars.
À vrai dire, Baile à la Baiana, s’il se présente comme un album solo, célèbre les rencontres, en premier lieu la connexion entre la musique carioca et la musique bahianaise. Si celles-ci sont liées depuis toujours dans l’histoire (les danseuses «baianas» sont emblématiques du carnaval de Rio), Seu Jorge, fidèle à lui-même, réactualise cette vision.
Il connecte deux villes, Rio de Janeiro et Salvador da Bahia, marquées par leurs traditions musicales et tout un héritage culturel commun, mais aux énergies pourtant bien différentes. Alors que le carnaval de Salvador est un carnaval de rue (et le plus important du Brésil, contrairement à celui de Rio, qui est un spectacle) et que Bahia est le cœur battant de la musique noire brésilienne (dont l’influence s’est largement répandue chez les musiciens cariocas), Seu Jorge fusionne deux cultures de la façon la plus engageante possible – et, finalement, la seule qui soit : en incitant à la danse.
Né d’une longue amitié avec le percussionniste bahianais Peu Murray, et de la rencontre avec Magary Lord, qui complète le trio de têtes pensantes, l’album n’est ni plus ni moins qu’une grande célébration du pouvoir de la musique sur les corps et les âmes. D’emblée, Seu Jorge annonce qu’il faut se préparer aux «good vibes» et le résultat est un son plus joyeux et remuant.
Les instrumentations fleuries, magnifiquement exécutées par le Conjuntão Pesadão (les fidèles de longue date du musicien en studio et sur scène), font tout le sel de l’album; les contributions vocales des amis bahianais offrent, elles, encore plus de profondeur à l’ensemble. On l’entend dans Mudou tudo («Tout a changé»), une bossa nova qui éloigne la douceur pour devenir funk sur le chant entêtant de Peu Murray.
On l’entend aussi dans les genres qui sont évoqués dans la musique bahianaise et qui s’expriment ici pleinement, comme le zouk (connu à Bahia comme une forme de «Black samba») : Seu Jorge s’y prête à deux reprises, avec un hymne euphorique aux «Baianas» (Chama o Brasil pra dançar) et une chanson d’amour fiévreuse (Amor de canudinho).
Le musicien carioca ne se met pas pour autant en retrait. Mais chez Seu Jorge, la bossa nova et la samba se présentent toujours sous les influences américaines du funk, de la soul ou du hip-hop : en témoigne ici surtout la première moitié de cet album de 11 titres, avec Sábado à noite et Sim mais, vrais tubes disco, ou le funk-jazz de Batuque, héritiers tant des «grooves» de James Brown ou The Temptations que de Marcos Valle.
La patte de Seu Jorge s’entend partout dans cet album collaboratif qui ne se dit pas, mais qui célèbre en tout cas, à sa manière à lui, un autre héritage musical du Brésil, plein d’ondes positives et définitivement festif.