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Les histoires vraies derrière «The Brutalist»


(photo Universal Pictures)

L’église abbatiale de Saint-Jean, dans le nord des États-Unis, et la vie de son architecte, Marcel Breuer, ont servi d’inspiration au film The Brutalist, bien lancé dans la course à l’Oscar du meilleur film.

Des figures de l’architecture, des commanditaires ambitieux, des disputes sur des détails architecturaux… La construction bien réelle de cette immense bâtisse de béton, devancée d’un haut clocher aplati et posée dans les plaines enneigées du Minnesota, a subi autant d’aventures que celle qui sert de trame au film The Brutalist, dans lequel Adrien Brody incarne László Toth, un architecte hongrois survivant de la Shoah qui lance une construction massive aux États-Unis.

«Qu’une université religieuse, toute petite à l’époque, au milieu de nulle part, gérée par un groupe de moines, embauche un architecte de renommée internationale», l’histoire de l’abbatiale Saint-Jean est «formidable», se réjouit Alan Reed, qui y mène des visites.

 

Au début des années 1950, Baldwin Dworschak, à la tête de cette abbaye bénédictine à la croissance rapide, décide d’inviter certains des plus grands architectes de l’époque à leur faire des propositions. Parmi ceux qui lui répondent, Marcel Breuer.

C’est à cet architecte juif hongrois, formé à l’école Bauhaus en Allemagne puis immigré aux États-Unis, qu’est confié le soin de concevoir la nouvelle église, au centre du campus religieux de Collegeville, à une heure de Minneapolis.

Le Bauhaus est une école artistique qui fit florès au début du XXavant d’être interdite par les nazis; ses représentants ont, eux, été persécutés. «Il y a tellement d’architectes du Bauhaus talentueux et dont on n’a jamais pu voir ce qu’ils auraient voulu construire, quel futur ils imaginaient», a souligné le réalisateur du film, Brady Corbet, à Venise.

Faux airs de blockhaus

La réalisation de Marcel Breuer est massive : derrière ce clocher imposant, une façade constituée de centaines d’hexagones de béton qui laissent passer la lumière à travail le vitrail. Et à l’intérieur, une charpente de béton apparent, aux faux airs de blockhaus. «Quelque chose qui n’avait jamais été fait auparavant», relève Victoria Young, professeure d’architecture à l’université de St. Thomas, dans le Minnesota, qui a écrit sur cette œuvre.

Brady Corbet s’est rendu sur place et cite un livre de Hilary Thimmesh, qui a travaillé aux côtés de l’abbé Baldwin Dworschak dans la commande du bâtiment, comme une grande source d’inspiration pour son long métrage. Les parallèles entre les deux histoires sont clairs : un architecte juif qui conçoit, au sommet d’une colline américaine, un immense bâtiment chrétien avec un style moderniste controversé.

«Ce film est malheureusement une fiction, de l’histoire virtuelle, le seul moyen de visiter ce passé», a ajouté le cinéaste de 36 ans. Fruit de sept ans de travail, «le film leur est dédié, aux artistes qui n’ont pas pu accomplir leur vision». Inspiré d’un thème plutôt ardu, «la manifestation physique des traumas du XXe siècle» dans l’architecture, The Brutalist est porté par un souffle et une attention à ses personnages qui ne le rend jamais pontifiant.

Bâtisse dégradée

Dans le film, la tension monte quand le commanditaire confie une partie de la construction à quelqu’un d’autre. Pour l’abbatiale Saint-Jean, Marcel Breuer a aussi vivement regretté que les religieux commandent la réalisation des vitraux à un autre artiste. Si, dans le film, ce conflit s’achève de manière dramatique, Marcel Breuer et Baldwin Dworschak sont eux restés en bon contact.

Le succès du film, couvert d’éloges et de récompenses – Lion d’argent à la dernière Mostra de Venise, quatre BAFTA, trois Golden Globes dont celui du meilleur film dramatique, en attendant les Oscars dimanche, où il est nommé dans dix catégories –, pourrait aussi apporter une nouvelle lumière sur cette église, se félicitent des spécialistes.

«Je pense que Marcel Breuer a été oublié», regrette l’architecte Robert McCarter, qui a écrit un livre sur la question. «Beaucoup de gens, dont moi, pensent que Saint-Jean est sa plus grande œuvre, de loin.» Mais la bâtisse se dégrade. Alors les moines qui la gèrent aujourd’hui espèrent que le film pourra permettre de lever des fonds pour chauffer la très volumineuse nef l’hiver et la climatiser l’été.

Le brutalisme, c’est quoi ?

Si The Brutalist est déjà considéré comme l’un des meilleurs films de l’année, il a provoqué l’émoi chez certains spécialistes qui lui reprochent des erreurs flagrantes, allant jusqu’à remettre en cause l’appartenance du personnage principal au courant du brutalisme.

MARCEL BREUER László Toth est «une fusion» de plusieurs architectes célèbres dont Marcel Breuer, a affirmé le réalisateur Brady Corbet. Comme le personnage joué par Adrien Brody, Marcel Breuer est né en Hongrie, a perfectionné ses compétences à l’école Bauhaus en Allemagne d’avant d’émigrer aux États-Unis.

Tous deux ont conçu des chaises emblématiques avant de travailler sur de grandes bâtisses. Juifs, ils ont été mandatés pour construire de gigantesques édifices chrétiens aux États-Unis, devenus leurs chefs-d’œuvre. Marcel Breuer est également connu pour avoir dessiné des parties du siège parisien de l’Unesco ou le Whitney Museum of American Art à New York.

BRUTALISME Le brutalisme est un style architectural né dans les années 1950 lors de la reconstruction de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale. Ses traits principaux ? Le recours au béton apparent et des formes géométriques géantes, notamment. Or, The Brutalist ne met presque jamais à l’honneur ce style architectural, à part le chef-d’œuvre réalisé par László Toth.

Dans un épisode de podcast, en anglais, intitulé «Pourquoi The Brutalist est un film horrible», Alexandra Lange, critique d’architecture, a des mots forts : les auteurs «ont lu tous les livres sur le brutalisme, mais absolument rien de tout ça n’a été utilisé». Victoria Young affirme que le bâtiment à la fin du long métrage n’est pas du style brutaliste, mais plutôt début moderniste. «Je me suis dit : « Vous semblez ne pas avoir compris la chronologie. »»

LOIN DE LA RÉALITÉ Les élèves du Bauhaus comme Marcel Breuer et Walter Gropius ont traversé l’Atlantique dans les années 1930, avant la guerre, et non après, comme László Toth dans le film. Ils arrivent en tant que professionnels, internationalement reconnus, et sont accueillis dans les plus grands établissements, comme l’université Harvard.

L’architecture moderniste était ancrée et à la mode aux États-Unis, bien avant l’époque où se déroule le film. László Toth est accro à l’héroïne et homme pieux. Marcel Breuer, lui, était sobre et laïc. Robert McCarter a dit, pour sa part, ne pas être «gêné» par la déformation historique. «Ils utilisent simplement sa biographie à des fins pratiques», a-t-il confié.

IA L’intelligence artificielle a été utilisée pour les bâtiments et les plans de László Toth, selon le monteur du film, David Jancso. Le réalisateur a précisé que les plans étaient dessinés à la main, mais que la technologie avait été utilisée pour créer «intentionnellement (…) de mauvais rendus numériques des années 1980», pour l’épilogue du film.

L’IA, qui est aussi utilisée que honnie à Hollywood, a également été appliquée pour améliorer l’accent hongrois des acteurs.

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