Sûre de sa victoire, l’union CDU/CSU emmenée par Friedrich Merz part en quête d’un score sans appel aux élections législatives de ce dimanche, pour imposer sa ligne dure sur l’immigration face l’AfD.
Les capitales européennes auront les yeux braqués sur le scrutin anticipé de la première économie du continent, affaiblie depuis l’implosion de la coalition d’Olaf Scholz fin 2024, en pleine crise de son modèle industriel et géopolitique.
Le soutien sans fard apporté par l’entourage du président américain, Donald Trump, à l’Alternative pour l’Allemagne (AfD, extrême droite) a de surcroît nourri une polarisation accrue dans un pays autrefois champion du compromis.
Les sondages sont toutefois restés constants, accordant 30 % des suffrages aux conservateurs de la CDU/CSU. Suit l’AfD avec environ 20 %, un record.
Une alliance avec l’AfD exclue
Lors d’un dernier débat télévisé avec Olaf Scholz mercredi soir, Friedrich Merz a appelé les Allemands à lui confier un mandat fort pour «résoudre les deux grands problèmes du pays, la migration et l’économie». Faute de quoi «ils nous dépasseront, nous et tous les partis démocratiques du centre politique», a-t-il prévenu, jugeant le gouvernement sortant responsable de l’essor de l’AfD.
Une alliance avec cette formation étant exclue, «la question est de savoir comment (Friedrich Merz) va former une coalition stable», de préférence avec un seul allié, indique Sudha David-Wilp, du centre de réflexion German Marshall Fund of the United States.
Le Parti social-démocrate (SPD) d’Olaf Scholz est menacé d’une débâcle historique (15 %), même si ce dernier s’accroche à l’espoir de rallier les nombreux indécis. Les Verts sont eux crédités de 14 %.
«Je crois que beaucoup de gens sont très tendus (…) face aux négociations de coalition», estime Tristan, un étudiant de 28 ans à Berin. «Ils ont simplement peur que le chaos règne avant la formation du gouvernement», dit-il. À Francfort, le restaurateur Ralph Teschner s’inquiète de la montée de l’extrême droite. «Parce qu’un pays avec une AfD à 21 % ou plus n’est pas un pays où on aime être», confie cet homme de 57 ans.
La campagne électorale hivernale a largement été dominée par les craintes liées à l’immigration, après une série d’attentats meurtriers impliquant des étrangers, qui ont bouleversé le pays.
Friedrich Merz, qui accuse le gouvernement Scholz de laxisme, a durci sa position, préconisant un verrouillage durable des frontières et le refus d’entrée pour tout étranger sans papiers, y compris des demandeurs d’asile. Il a fait adopter une résolution non contraignante à ce sujet avec les voix de l’AfD au Bundestag, du jamais vu depuis l’après-guerre au niveau fédéral.
La démarche, vue par beaucoup comme une amorce de normalisation de cette formation, a provoqué de grandes manifestations de protestation en Allemagne. Le discours le 14 février dernier à Munich du vice-président américain J. D. Vance, exhortant les partis traditionnels allemands à lever leur refus de gouverner avec l’extrême droite, a encore mis de l’huile sur le feu.
SPD (sociaux-démocrates)
207 sièges
CDU/CSU (conservateurs)
196 sièges
Grüne (Verts)
117 sièges
FDP (Libéraux)
90 sièges
AfD (extrême droite)
76 sièges
Die Linke (extrême gauche)
28 sièges
BSW (extrême gauche)
10 sièges
Autres
9 sièges
«Besoin de réformes et d’investissements»
L’autre grand thème de la campagne a été l’économie défaillante, illustrée par plusieurs grands plans de réduction d’emplois ces derniers mois, notamment dans l’automobile. Le pays «a clairement besoin de réformes, d’investissements, de travailleurs qualifiés», juge l’experte Sudha David-Wilp.
Friedrich Merz a promis de rebâtir la force industrielle du pays en abaissant les impôts des entreprises et réduisant la bureaucratie. Holger Schmieding, économiste à la Berenberg Bank, s’interroge toutefois sur sa capacité à «mettre en vigueur un grand agenda de réformes» après les élections.
Beaucoup dépendra des petits partis : une des deux formations d’extrême gauche Die Linke, en pleine remontada, est créditée de 7 %, l’autre, BSW, de même que les libéraux du FDP pointent autour des 5 % des suffrages nécessaires pour être représenté au Bundestag.
Ces derniers pourraient empêcher des changements constitutionnels visant à assouplir les règles strictes en matière d’endettement, une réforme jugée nécessaire pour libérer des liquidités en vue d’investissements dans l’économie et les forces armées, souligne l’économiste.
Et les partis des extrêmes BSW, Die Linke et AfD, qui partagent un rejet de l’aide militaire à l’Ukraine, pourraient détenir une minorité de blocage pour le vote de lois clés dans ce domaine.
Le scrutin ciblé par la désinformation russe
La Russie a profité de la campagne électorale en Allemagne pour propager de la désinformation sur les réseaux sociaux afin de «détruire la confiance dans la démocratie», a affirmé vendredi le gouvernement allemand. La campagne aurait toutefois eu une porte limitée.
Deux opérations ont été relevées par les autorités. Dans le premier cas, de fausses vidéos montraient des bulletins de vote dans la ville de Leipzig, où le nom du parti d’extrême droite AfD n’apparaissait pas. Dans le second exemple, de fausses vidéos ont prétendu que des bulletins au nom de l’AfD étaient jetés dans une déchiqueteuse à Hambourg.
Le modus operandi de la campagne est similaire aux opérations de propagande du groupe russe Storm-1516. Cette cellule liée au Kremlin a également été active pendant l’élection américaine pour discréditer la candidate démocrate Kamala Harris.