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[Musique] Kompromat : «Les pieds sur terre et la tête dans les nuages»


Le duo joue ce vendredi soir à la Kulturfabrik. (Photo : maxime ballesteros)

Rebeka Warrior et Vitalic, alias Kompromat, sont en concert ce soir à la Kulturfabrik après la sortie fin janvier de leur deuxième album, Playing/Praying. Rencontre avec deux figures emblématiques de l’electro.

D’un côté, il y a Rebeka Warrior, guerrière multiinstrumentiste et grande voix déchirée de l’electro-punk Sexy Sushi et de la synth-pop au minimalisme déchirant Mansfield.TYA. De l’autre côté, il y a Vitalic, artiste clef de l’électronique hexagonale maximaliste ou dark techno et boss du label Citizen qui publie grenades sur pépites. S’il y a, entre les deux, des atomes plus que crochus, notamment via l’electroclash, les grands esprits se rencontrent par le biais de l’«Electronic Body Music» (EBM). Ce qui donne Kompromat et, à ce jour, Traum und Existenz (2019) et Playing/Praying, sorti fin janvier, deux albums où fusionnent le spirituel et le charnel, la prière et la danse, la post-«French Touch» et le Berlin de la fin des années 1970, l’allemand, l’anglais et le français, mais aussi… Sexy Sushi, Mansfield.TYA et Vitalic. Le duo joue ce vendredi soir à la Kulturfabrik. Interview.

Même si Robert Görl et Gabi Delgado l’étaient eux-mêmes, vous considérez-vous comme des « DAF » punks ?

Vitalic : Cette approche me paraît bonne. DAF, c’étaient des vrais punks; bon, nous aussi. En tout cas, c’est l’un de nos groupes favoris.

Rebeka Warrior : C’est bien sûr, en partie, pour ce motif que je voulais chanter en allemand; la filiation est voulue et volontaire.

Est-ce que le fait d’employer la langue allemande, ça a été une façon de repartir à zéro, comme l’apprentissage d’un nouvel instrument ?

R. W : L’allemand m’a permis de m’éloigner du français donc d’avoir, par extension, d’autres formes d’automatismes, aussi bien au niveau du chant que de l’écriture. Mais comme sur Playing/Praying, on n’avait plus besoin de cette distance par l’allemand, on est reparti sur le français et l’anglais qui sont des langues qu’à l’évidence on maîtrise mieux.

Une chanson de Sexy Sushi s’intitule Toute la haine qui m’incarne. Selon vous, est-ce que le chaos finit par anéantir la haine ?

R. W : Kompromat, c’est souvent chaotique. Il y a une satisfaction véritable à pousser les curseurs pour aller vers nos limites. J’ai toujours vu la scène comme un vecteur de libération. Le public peut pleurer ou pogoter, quoi qu’il en soit, le live incarne ce moment précieux où l’on communie. Il y a une grande place accordée à l’accident.

V. : À chaque fois qu’on joue, on le fait différemment; tout à l’heure encore, on a testé ce qu’on n’avait jamais exploré avant. Il y a parfois très peu de séquences alors c’est à nous de les faire vivre, on n’a pas le choix.

R. W : Et toutes les erreurs qu’on peut faire se transforment en opportunités d’aller vers l’inconnu. On métamorphose, quelque part, le chaos.

Les plaisirs de la chair peuvent mener au cosmique

Est-ce que vous croyez qu’avec le temps, on perd en charnel ce qu’on gagne en spirituel ?

V. : Chez Kompromat, les deux visions s’entremêlent, ce sont les deux angles du même objet. Il y a un côté spirituel et un autre proche du charnel. C’est encore plus le cas sur ce dernier disque qui a les pieds sur terre et la tête dans les nuages.

R. W. : À l’image du titre de l’album, Praying/Playing, on a voulu créer des liens entre des montées d’extase de l’esprit et du corps.

Dans Nous sommes jeunes nous sommes fiers (Benoît Sabatier, 2007), Christophe Monier de Micronauts décrit ainsi la « dance music » : « Elle encourage la consommation de psychotropes et une sexualité débridée, contre les répressions spirituelles et sexuelles organisées par les religions. Elle veut réconcilier le corps et l’esprit … »

V. : Je suis tout à fait d’accord.

R. W. : Vitalic dit toujours : « Je suis contre les religions commerciales »! Les plaisirs de la chair peuvent mener au cosmique. Il s’agit, avec Kompromat, de bien ouvrir tous nos chakras.

Avec Scratch Massive ou Chloé, vous êtes des symboles de la scène electro queer française : comment y percevez-vous l’évolution des LGBTQIA+ depuis le début du siècle ?

V. : De plus en plus de musiciens et de DJ s’affirment et se revendiquent queer. Dans les années 1990, on disait que la house était jouée et appréciée par beaucoup de gays, mais chez les musiciens, ce n’était pas très visible alors que maintenant ça l’est davantage.

R. W. : Et tant mieux. On fait de la musique depuis vingt ans et, à vrai dire, quand j’ai démarré, il n’y avait pas de chanteuses ouvertement lesbiennes. C’est d’ailleurs pour ça que je me suis lancée, parce qu’à la base je ne savais pas où draguer des filles!

V. : Parmi les chanteuses lesbiennes, il y avait quand même Catherine Lara…

R. W : Ma concurrente directe! Mais c’est très bien que ce soit plus ouvert, parce qu’on commençait à se faire chier!

Chacun de votre côté, musicalement, vous avez ouvert des voies : Eloi ou Myss Keta, par exemple, citent souvent Sexy Sushi en tant qu’influence.

R.W : Je ne connais pas Myss Keta; je vais me pencher sur son cas.

Only in Your Arms me fait pleurer. Quand on le joue en live, j’ai la chair de poule 

Vitalic, vu que vous avez appelé l’un de vos albums Rave Age (2012). Par analogie, un titre de Kompromat comme Only in Your Arms, c’est une berceuse pour les « raveurs » ?

V : Au début, le morceau devait être dansant et pop. J’ai proposé à Rebeka d’enlever les drums et de faire juste une ascension : à l’arrivée, c’est une musique de montée, spirituelle bien sûr. Le morceau n’est pas si minimal que ça, mais en l’épurant, il a gagné en puissance. Je ne sais pas s’il s’agit vraiment d’une berceuse, quoiqu’il est lancinant.

R. W. : Only in Your Arms me fait pleurer. Quand on le joue en live, j’ai la chair de poule et la larme qui coule. Sur Possession, les batteries aussi avaient été virées et c’est toujours l’un de mes titres préférés. L’émotion est plus forte quand on fait du ménage. Et puis c’est vrai que, comme la techno aujourd’hui fait dans le « plus plus plus“ – c’est l’autoroute des kicks –, ça nous fait du bien de revenir à des compositions plus mélodiques.

Le terme « EBM«  a été utilisé la première fois par Ralf Hütter de Kraftwerk pour qualifier le disque Die Mensch-Maschine (1978) et Playing/Praying se termine par un morceau nommé Intelligence artificielle. Est-ce que vous pensez que l’IA et les machines pourraient un jour remplacer définitivement les musiciennes et les musiciens ?

V. : Un peu à la manière de Spotify, j’imagine qu’on pourra commander des morceaux, créés sur le moment, qu’il y aura des espèces de distributeurs automatiques. Si j’écoute de l’italo disco comme Boys Boys Boys de Sabrina, l’IA me propose juste après une chanson équivalente. On a cru que les boîtes à rythmes allaient remplacer les batteurs, que les samplers allaient remplacer les musiciens et que le vocoder allait remplacer les chanteurs. Concernant le vocoder, c’est vrai qu’on est allé un peu loin, avec l’autotune. Mais les musiciens resteront irremplaçables, ne serait-ce que pour jouer sur scène.

R. W. : L’IA pourrait nous aider. Des études affirmaient que les harmonies du Canon de Pachelbel produisaient du bonheur, par n’importe quel endroit d’où on le prenait. Et je pense que l’intelligence artificielle générera des playlists dans le genre « Tout pour le bonheur ». Il n’empêche que c’est un autre métier que le nôtre.

Avez-vous un dossier compromettant concernant Kompromat ?

R. W. : Non, mais on en a un sur vous. Et on ne le divulguera qu’en cas de problème, vous voyez ce que je veux dire. Si on trouve l’article nul, on sort le dossier!

Vendredi soir, à 20 h 30. Kulturfabrik – Esch-sur-Alzette.

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