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Un frein pour l’IA au Luxembourg ?


Le Premier ministre, Luc Frieden, et la ministre Elisabeth Margue ont participé, les 10 et 11 février, au sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, organisé à Paris. (Photo : sip/claude piscitelli)

Alors que le Grand-Duché veut se positionner comme pionnier dans le domaine de l’intelligence artificielle, le cadre règlementaire risque, selon la Fedil, de plomber les ambitions.

«L’intelligence artificielle est un sujet qui va nous impacter massivement. Elle va influencer notre façon de travailler, de réfléchir et de vivre ensemble. L’Europe doit jouer sa propre partition en la matière, et je veux que le Luxembourg obtienne sa part du gâteau». Il y a une semaine, lors de son briefing après la réunion du Conseil de gouvernement, le Premier ministre, Luc Frieden, a rappelé les opportunités que représente l’intelligence artificielle (IA) pour le développement de la société et de l’économie. «Il existe aussi des risques, mais moi, je vois surtout les opportunités», souligne le chef du gouvernement.

Selon lui, les responsables politiques «ont le devoir d’attirer les talents et de mobiliser les fonds nécessaires pour encourager l’innovation et la recherche, afin de faire de l’IA quelque chose qui profite à tout le monde». Dans cet ordre d’idées, le Premier ministre ne cache pas la nécessité d’assurer une «utilisation responsable» de cette technologie, basée sur l’AI Act, le règlement de l’UE sur l’intelligence artificielle. Le Luxembourg figure parmi les premiers à avoir lancé le processus législatif pour implémenter ces normes.

«Une terre d’accueil favorable à l’innovation»

L’objectif serait de «soutenir le développement d’une IA axée sur l’humain et digne de confiance qui tire profit des opportunités pour le bien de nos sociétés et économies tout en mettant en place des barrières aux excès potentiels», comme le résume Elisabeth Margue, la ministre déléguée en charge des Médias et de la Connectivité, dans l’exposé des motifs du projet de loi. L’intention ne serait pas de «restreindre ou freiner indûment le développement technologique ni augmenter de manière disproportionnée les coûts de mise sur le marché de solutions d’IA». Le cadre réglementaire est donc censé «favoriser l’innovation (…), tout en s’assurant le respect des droits fondamentaux et des valeurs de l’UE afin de créer la confiance auprès des citoyens».

Au moins en ce qui concerne la promotion de l’innovation, des doutes persistent, comme le fait remarquer la Fédération des industriels luxembourgeois (Fedil) dans son avis sur le texte ficelé par le gouvernement. En cause, un cadre réglementaire «contraignant, voire à certains égards trop contraignant». Une simplification de l’AI Act s’imposerait donc : «L’innovation en Europe est à ce prix ou, à l’inverse, le risque de décrochage européen en cas de statu quo est des plus réels».

La Fedil réclame un environnement réglementaire «clair et cohérent» qui «renforce la confiance des utilisateurs et
des investisseurs». «Il est essentiel à cet égard que le Luxembourg adopte une approche pragmatique qui, tout en protégeant les utilisateurs, permette aux entreprises de continuer à innover, voire à innover plus que par le passé», souligne la fédération patronale. Des «procédures proportionnées» seraient nécessaires pour ne pas «alourdir inutilement les charges administratives, en particulier, pour les startups et les PME».

L’AI Act réclame que chaque État membre mette en place un système de gouvernance qui supervise le respect des règles. «Le choix des autorités compétentes nationales devient (…) un facteur d’attractivité (…) pour attirer des entreprises à la recherche d’une terre d’accueil en Europe favorable à l’innovation, ou encore pour attirer les capitaux essentiels au soutien de l’innovation», avance la Fedil. Le fait que le gouvernement mise sur une architecture régulatrice composée d’une dizaine d’autorités nationales suscite de «profondes inquiétudes».

«Luxembourg Data and AI Agency»

La liste luxembourgeoise comprend notamment les instances de contrôle de la justice, du secteur financier, des produits de santé ou de l’audiovisuel. La Commission nationale de la protection des données (CNPD) est appelée à assurer la coordination et assumer le rôle de point de contact unique vis-à-vis des acteurs du marché. La Fedil plaide pour la désignation d’une autorité de surveillance unique, afin «d’assurer l’uniformité au niveau de l’application des textes, et de réunir les compétences nécessaires en matière d’IA (qui ne sont pas légion) sous un « même toit »».

À défaut de créer une autorité spécifique, la Fedil propose de renommer la CNPD en «Luxembourg Data and AI Agency». En maintenant le nom et mode de fonctionnement, le choix de la CNPD «risque d’être perçu, au niveau international, comme un signal qui décourage les acteurs de l’IA de s’établir au Luxembourg, car donnant l’impression que le Luxembourg perçoit l’IA avant tout sous l’angle de la protection des données». Or, la question de l’IA «n’est pas avant tout une question de protection des données».

Un leader européen de l’IA intéressé par le Luxembourg

Le Premier ministre, Luc Frieden, affirme avoir mené des «pourparlers très constructifs et utiles» en marge du récent sommet sur l’IA, organisé à Paris. Il a notamment pu échanger avec les fondateurs de Mistral IA, une startup française, qui lancée en 2023, est aujourd’hui considérée comme un des leaders de l’IA en Europe. L’entreprise se dit engagée à «démocratiser l’intelligence artificielle grâce à des modèles, produits et solutions d’IA open source, efficaces et innovants».

«Nous avons trouvé un accord pour évaluer dans les semaines à venir sur quels projets on pourrait travailler ensemble. Le cas échéant, on espère les convaincre d’implanter des activités au Luxembourg», relate le chef du gouvernement. Une décision est attendue en mai ou en juin.

Basée à Paris, Mistral IA dispose déjà de bureaux au Royaume-Uni, ainsi que d’antennes à Palo Alto et à Singapour.