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Xavier Turquin : «Je me bats pour pouvoir jouer au parc avec mes petits-enfants en 2050»


À la suite d’un changement professionnel brutal, Xavier Turquin a délaissé le Kirchberg afin de lutter pour le climat, jusqu’à devenir directeur de Greenpeace Luxembourg.

À l’occasion du «jour du dépassement» du Grand-Duché, Xavier Turquin, fraîchement nommé directeur de Greenpeace Luxembourg, cible les priorités et les dangers pour l’environnement national comme mondial.

Quelques jours après l’annonce de mesures du gouvernement et de la Chambre des salariés afin, respectivement, de lutter contre le changement climatique et d’en protéger les salariés, le Luxembourg a atteint son «jour du dépassement» aujourd’hui. En ce 17 février, la Terre ne peut plus satisfaire la demande en ressources du pays, ce qui permet à Xavier Turquin, directeur de Greenpeace Luxembourg, de rappeler l’urgence environnementale. Nommé à la direction depuis septembre dernier, cet ancien travailleur au Kirchberg ne manque pas de dossiers, ni de motivation pour son nouveau poste.

Le Luxembourg vient de consommer toutes les ressources naturelles que la Terre peut lui attribuer en un an. Qu’est-ce que ce jour vous inspire ?

Xavier Turquin : C’est un calcul théorique, mais un calcul symbolique et extrêmement puissant afin de montrer que l’on va au-delà de nos ressources. Il y a une métaphore que j’aime bien, surtout ici au Luxembourg. C’est que si l’on gérait la planète comme on gère des finances, la planète serait notre capital et ses intérêts seraient les plantes qui poussent, le cuivre que l’on extrait ou l’air que l’on respire.

Tout ce capital, quand on le prend, il ne se reconstruit pas. Théoriquement, on ne devrait vivre qu’avec ses intérêts. Imaginez que l’on soit un foyer et que, le 17 février, on ait consommé tous les intérêts produits par son compte pour l’année. On ne pourrait alors plus vivre.

Je vais paraphraser Timothée Parrique (NDLR : un économiste français) : si la nature était une banque, cela ferait longtemps qu’elle aurait arrêté de nous prêter (…). Nous vivons à crédit depuis les années 50, depuis que des scientifiques ont démontré que l’humain a modifié la structure de la planète à force d’abuser de ses ressources.

Le « jour du dépassement«  est un élément intéressant, car il interroge sur la question de savoir pourquoi l’on consomme autant. Il y a une accélération des inégalités sociales et climatiques et nous sommes en train de dérégler tout notre système planétaire. Cela m’inspire donc une forme de colère, mais une colère qui m’apporte de l’énergie.

Le 7 février dernier, le ministère de l’Environnement a dévoilé 131 mesures d’adaptation aux effets du changement climatique. Qu’en pensez-vous ?

Ils auraient pu en présenter 100 comme 200, la question n’est pas le nombre de mesures, mais de savoir si elles vont être appliquées. Depuis des années, on cumule les plans nationaux qui ne sont pas suivis de faits, que ce soit pour l’énergie, le climat, la biodiversité.

Les impacts ne sont pas là, inexistants face à la moindre difficulté. Alors, on va nous dire que ces sujets constituent des deuxième ou troisième priorité. L’exemple d’actualité, c’est l’agriculture. Il y a quelques tracteurs qui manifestent en Europe, en sachant qu’ils sont soutenus par des syndicats, d’un coup, on allège les contraintes administratives mais surtout environnementales.

Je suis très dubitatif quant à ces mesures. Elles peuvent être très bien sur le papier; si elles ne sont pas appliquées ou reportées, cela ne sert qu’à remplir des obligations pour l’Union européenne. Chacun fait ses devoirs que l’on remet à la Commission européenne qui, elle, dit : « Le Luxembourg, bon élève, il a fait ses devoirs, il a fait son plan« . 

Vous connaissez la part d’eau de surface au Luxembourg de bonne qualité ? Zéro pourcent. Cela n’est pas arrivé en un mois, c’est le résultat d’un ensemble de politiques, donc ces mesures ne m’inspirent pas grand-chose.

Avec 40 ans d’existence et d’échanges avec le gouvernement, quelles sont vos relations avec ce dernier ?

Le bureau de Luxembourg est opérationnellement fusionné avec celui de la France, donc j’y ai beaucoup d’échos et sincèrement, nous avons de la chance d’avoir une culture du dialogue au Luxembourg.

Il y a des périodes plus ou moins difficiles mais il y a toujours une très bonne accessibilité. Être entendu, c’est autre chose. Les réponses, très souvent, ce sont des excuses en disant : « Mais nous sommes un petit pays, nous n’avons pas beaucoup d’influence«  ou alors « C’est l’Europe qui décide« . Il y a ce complexe d’infériorité bien pratique parfois, alors que l’on connaît la puissance du Luxembourg dans un système financier où il peut être un rouage pour faire basculer les choses.

Sinon, nos relations sont plutôt cordiales. On a la chance de pouvoir encore manifester pour le moment, mais on reste vigilants, nous, comme toute la société civile.

On cumule les plans nationaux qui ne sont pas suivis de faits

Quel message pour l’environnement délivre la nouvelle présidence de Donald Trump, climatosceptique avéré ?

Malheureusement, c’est ce qu’on appelle la fenêtre d’Overton. C’est-à-dire que ce n’est pas tant Trump le problème que les portes qu’il ouvre et la libéralisation des extrémismes. C’est inquiétant, car on remet en cause des faits, des connaissances.

Nous assistons à une destruction du débat. Tout devient vérité, tout devient opinion. Aujourd’hui, un rapport du GIEC, qui est un consensus scientifique mondial, est discuté comme n’importe quelle opinion venant de n’importe qui. Mais non, on ne peut pas mettre au même niveau des croyances ou opinions face à des mesures et des réalités.

La Terre se réchauffe et comme seule réponse, on va casser le thermomètre. Imaginez qu’un médecin qui traite son malade casse son thermomètre en lui disant : « Vous n’avez plus de fièvre.« 

Ces dernières années, la jeunesse notamment a manifesté pour le climat, mais le souffle est retombé depuis. Comment sentez-vous la société à ce sujet ?

C’est justement un gros travail sur lequel nous et d’autres ONG sommes en train d’agir pour rallumer cette flamme. Il y a eu le phénomène Greta Thunberg et Youth for Climate qui a été très fort dans le monde entier jusqu’en mars 2020 et le covid.

Et après le covid, il y a eu ce redémarrage catastrophique qui a créé les phénomènes d’emballement, de rupture de chaînes d’approvisionnement et d’inflation. Il y a donc eu d’autres priorités. Je ne parle pas du Luxembourg, mais nous avons vu des files d’étudiants dont le premier souci était de manger.

Pour le Luxembourg, il y a une autre particularité, c’est que le mouvement s’est essoufflé, car cette génération est partie en études et il n’y a pas eu de succession. Mais c’est en train de renaître. En novembre dernier, Youth and Climate Action a été à Bakou, pour la COP29, et nous soutenons ce mouvement de jeunes que nous sommes en train de reconnecter.

Ce qui est aussi intéressant, c’est que cette jeunesse de 2019 revient pour intégrer le monde du travail et les plus engagés investissent des ONG et associations locales. Pour moi, les trois années à venir sont clés face au trumpisme et face à une situation générale de plus en plus difficile.

«Ce n'est pas tant Trump le problème que les portes qu'il ouvre et la libéralisation des extrémismes», juge Xavier Turquin.

Sur le plan national, quels sont vos sujets du moment ?

Le vrai sujet du moment, c’est l’agroalimentaire et notre modèle d’alimentation globale au Luxembourg. Depuis des années, Greenpeace lutte contre les énergies fossiles, mais il y a une industrie bien tranquille mais encore plus destructrice au niveau des droits humains, de l’environnement et de la santé : l’industrie agroalimentaire.

Cette année, la COP30 sera au Brésil et on veut vraiment éclaircir et dénoncer les conditions environnementales et humaines de ce que l’on vend dans nos supermarchés.

En revanche, il faut rester réaliste et ne pas tomber dans « l’écologie de bobos«  qui ont les moyens. Il faut accompagner cela de solutions. Quand on n’a pas les moyens, ni le temps et que l’on veut faire plaisir aux enfants, la pizza à deux euros c’est le combo gagnant. Sauf que le vrai coût environnemental, social et sanitaire de cette pizza transformée, devrait être de 200 euros.

Une alimentation saine et juste pour tous est possible en accompagnant l’agriculture locale. C’est un plan de société et nous en avons les moyens. Le Fonds de pension sert à protéger notre avenir, alors pourquoi ne pas investir dans ce qui va préserver notre monde plutôt que dans ce qui le détruit?

Vous vous êtes également positionné sur le débat de la réforme des pensions.

Oui, c’est un sujet qui nous tient à cœur. Le gouvernement avait l’opportunité extraordinaire de faire un exercice démocratique en demandant aux gens : « Qu’est-ce que la retraite et comment voulez-vous la vivre?«  À la place, c’est un exercice comptable. Ce n’est pas cela qu’il faut changer, c’est notre réflexion et notre modèle de société.

Pour nos retraites, c’est très bien, c’est formidable, l’État va nous protéger et on va avoir la retraite la plus haute d’Europe, voire du monde. Mais qu’est-ce que cela nous rapporte si tous les étés en 2050 ou 2060, il fait 40-45 °C au Luxembourg ?

Papa, qu’est-ce que tu fais toi au lieu de râler?

Du côté nucléaire, attendez-vous une réaction du gouvernement face au projet d’ajout d’un réacteur à Cattenom, tout près du Grand-Duché ?

Évidemment, on attend une action. Sauf qu’elle ne vient pas, donc c’est à nous d’en prendre. Historiquement, le Luxembourg était non nucléaire. Et très discrètement, sans en faire la publicité, le gouvernement Frieden est passé de l’opposition à la neutralité. Ce qu’on attend, d’un point de vue revendication, c’est qu’il rejette l’autorisation de prolongation de la vie de Cattenom puisque certains accords obligent les gouvernements à consulter les pays voisins lorsqu’ils veulent prolonger la durée de vie d’une centrale.

Quasiment cinq mois après votre prise de poste, quel premier bilan tirez-vous ?

D’un point de vue politique, je n’ai rien découvert parce que j’étais déjà très engagé, avec un assez bon réseau sur ce qui se passait au Luxembourg dans le domaine de l’environnement. En revanche, j’ai découvert tout l’écosystème associatif du pays, très fort et puissant à travers l’engagement.

Cela donne de l’énergie, de l’espoir et cela démontre une clairvoyance. Il n’y a pas d’aveuglement ni de défaitisme par rapport à la situation et c’est important.

Personnellement, ce qui est bien, c’est qu’aujourd’hui, je peux combiner mes expertises avec mes engagements. Cela devient de facto le plus beau job du monde, même si c’est très personnel. On voit beaucoup de gens qui se posent des questions sur leur job et leur but, moi, j’ai peut-être mis 25 ans à le trouver, mais je l’ai trouvé et cela donne beaucoup d’envie.

Une des raisons de ma bascule a eu lieu pendant le covid quand ma fille de 14 ans m’a dit : « Papa, qu’est-ce que tu fais toi au lieu de râler?«  J’ai dormi dessus et je me suis dit : « Oui, qu’est-ce que je fais concrètement?«  Maintenant, je suis capable de lui dire. Je sais à quoi je ne veux pas que 2050 ressemble et je me bats pour jouer au parc avec mes petits-enfants en 2050 et pas dans une salle climatisée parce que l’environnement sera dangereux pour une personne âgée.

Repères

État civil. Né en 1976, à Nice, Xavier Turquin est marié et père de quatre enfants.

Finance. Double diplômé d’un master à l’université Paris Dauphine et à l’Institut Mines-Télécom Business School, Xavier Turquin commence sa carrière dans la finance en 2002 à Bruxelles puis rejoint le plateau du Kirchberg pour une mission en 2005, avant de s’installer durablement.

Démission. Employé dans un «Big Four» depuis quatre ans, il démissionne en août 2021 sans plan de secours, poussé par une dichotomie entre sa profession et sa volonté d’engagement pour l’environnement, accentuée par le covid et l’incapacité des pouvoirs publics à protéger les citoyens contre la pandémie.

Transition. À la rentrée de septembre 2021, il entame un master en développement durable et innovation sociale à l’université de Luxembourg. En parallèle, il se lance en indépendant et fonde transition.lu, une entreprise de consulting pour fournir aux entreprises des solutions de transition écologique.

Greenpeace. Déjà membre de Greenpeace Luxembourg, il postule au poste vacant de directeur du bureau national de l’ONG qu’il obtient et qu’il occupe à plein temps depuis le 24 septembre 2024.

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