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[Cinéma] Ce petit bout de Luxembourg aux États-Unis


Au cours du XIXe siècle, quelque 70 000 Luxembourgeois ont émigré aux États-Unis. Leurs descendants portent fièrement cette double culture en étendard. (Photo : festivalevents)

Avec le documentaire Luxembourg in America, Geoff Thompson est parti à la rencontre de la communauté d’origine luxembourgeoise dans l’État américain du Wisconsin. Et brosse le portrait de l’héritage culturel qu’elle porte en elle.

Les liens culturels qui unissent le Luxembourg et l’Amérique peuvent se résumer à quelques noms bien connus : l’écrivain Hugo Gernsback (1884-1967), créateur de la revue «pulp» Amazing Stories et inventeur du terme «science-fiction», le photographe Edward Steichen (1879-1973), l’actrice oscarisée Loretta Young (1913-2000), le banquier Nicholas Muller (1836-1917), premier immigré luxembourgeois à avoir été élu député au Congrès américain…

Derrière leur histoire personnelle se cache le parcours de quelque 70 000 Luxembourgeois qui, au cours du XIXe siècle, ont quitté le pays pour le Nouveau Monde, à la recherche d’une vie meilleure – soit environ un tiers de la population totale du pays à cette période. Aujourd’hui encore, leurs descendants, même lointains, restent nombreux dans la région des Grands Lacs et dans tout le Midwest américain; de l’Ohio jusqu’au Minnesota, il n’est pas rare de croiser des Faber, Majerus, Lentz, Thein, Jacoby… Jusqu’à Dallas Goedert, le «tight end» des Philadelphia Eagles, vainqueur dimanche dernier du Super Bowl face aux Chiefs de Kansas City, dont nos confrères du Luxemburger Wort ont raconté cette semaine les origines luxembourgeoises.

Peu de gens au Luxembourg sont au courant de l’existence du Luxembourg Fest

Méconnu mais loin d’être invisible, l’héritage laissé par le Grand-Duché aux États-Unis est encore bien vivant et fait l’objet d’un documentaire court, actuellement en salles. Son réalisateur, Geoff Thompson, a quitté son Irlande natale pour Luxembourg, où il vit «depuis trente ans»; ses qualités de journaliste et d’organisateur d’évènements (dont le British & Irish Film Festival) lui ont permis de croiser la route de la Luxembourg American Cultural Society (LACS), une organisation qui vise à préserver cet héritage et aide les citoyens américains d’origine luxembourgeoise à obtenir la double nationalité. Chaque année, la LACS, installée dans la petite ville de… Belgium (Wisconsin), y organise le Luxembourg Fest, une fête de quatre jours autour de l’héritage culturel luxembourgo-américain, auxquels ont été invités par le passé le Grand-Duc Henri (qui possède sa propre statue dans le village américain) et divers ministres. Geoff Thompson raconte : «Cet évènement m’a semblé si intéressant, car il y a si peu de gens au Luxembourg qui sont au courant de son existence, que j’ai décidé d’y aller et de le filmer.»

Tourné en «neuf jours», Luxembourg in America parvient en 40 minutes à retracer l’histoire complexe de l’émigration de celles et ceux qui ont trouvé aux États-Unis d’autres terres fertiles à cultiver avant de partir à la rencontre de leurs descendants, que les racines luxembourgeoises, bien que lointaines, ne rendent pas moins fiers. Kevin Wester, l’un des fondateurs de la LACS, assure dans le film qu’il s’agit pour eux d’«une histoire de famille»; aujourd’hui, il organise des voyages afin de faire découvrir le Grand-Duché aux Américains d’ascendance luxembourgeoise, organisés autour de l’histoire familiale des voyageurs.

Au XIXe siècle, les Luxembourgeois ayant traversé l’Atlantique «n’avaient pas d’identité nationale, mais ils avaient une identité religieuse et des liens familiaux très forts, retrace Geoff Thompson. Ces éléments sont restés très ancrés jusqu’à aujourd’hui, et offrent à ces gens un héritage culturel sur lequel se construire, en encourageant à leur tour leurs enfants à demander la nationalité luxembourgeoise ou à étudier au Luxembourg.»

Nuggets, ribs et spécialités culinaires luxembourgeoises

Comme chaque année, la 38e édition du Luxembourg Fest s’est déroulée au mois d’août dernier : au programme, une parade (avec des moutons, un char à l’effigie de Notre-Dame du Luxembourg ou un autre sur lequel est écrit «Moien»), un bal (à l’issue duquel sont élus le «grand-duc» et la «grande-duchesse» de la danse), une messe (en anglais et en luxembourgeois)… Après une «remise en contexte» historique, «nécessaire» selon Geoff Thompson, le documentaire suit les différentes activités de ces quatre jours de festivités aux couleurs du Grand-Duché.

Le réalisateur admet qu’«il y a tellement de sujets sur lesquels (il aurait) pu digresser», en se basant uniquement sur son énorme travail de recherche : l’influence luxembourgeoise sur l’architecture des monuments de la région, la tenue annuelle d’une «Schobermesse» à Chicago, inspirée de la Schueberfouer, ou encore examiner la raison qui a poussé tant de Luxembourgeois à partir, désavantagés par une loi française sur la division des propriétés terriennes au sein de familles souvent nombreuses. Des éléments mentionnés dans le film, qui se racontent néanmoins différemment à travers les citoyens, familles et garants officiels de cette double culture rencontrés par Geoff Thompson.

Si, dans le Wisconsin, il y a, non loin du village de Belgium, un autre village du nom de Luxemburg, et si, devant le musée de l’immigration luxembourgeoise, fondé et géré par la LACS à l’endroit même où les premiers «settlers» sont arrivés, flottent les drapeaux des deux pays, l’implantation de la culture luxembourgeoise en Amérique s’est surtout popularisée dans la cuisine. Un chef luxembourgeois était invité, au dernier festival, à préparer de la bouneschlupp, des gromperekichelcher et autres plats stars de la cuisine du pays, que ces lointains cousins américains pouvaient déguster avec du crémant ou de la Bofferding – dont le succès s’est faufilé jusque dans certains bars de Chicago. Mais cela fonctionne aussi dans l’autre sens : immigré tardif, le cuisinier René Arend (1928-2016) a créé pour l’enseigne de restauration rapide McDonald’s deux de ses produits incontournables, les Chicken McNuggets et le McRib.

Un film qui a vocation à voyager

Toujours côté cuisine, l’un des moments phares du Luxembourg Fest reste le «Treipen-eating contest», qui consiste à engloutir le plus de petits boudins noirs en un temps record. «En plus de trente ans, c’est quelque chose que je n’avais jamais vu au Luxembourg, sourit Geoff Thompson. Mais c’est leur manière de mélanger l’héritage culturel luxembourgeois et les traditions américaines.» L’évènement attire d’ailleurs de plus en plus de curieux, pour une édition 2024 record, précise le réalisateur : «Tous les habitants de ce village ou cette région n’ont pas forcément de racines luxembourgeoises, mais ils vivent à un endroit qui entretient des liens forts avec le Grand-Duché. Ils en sont tous très conscients», et cela fait en quelque sorte partie de leur identité.

Présenté en avant-première en septembre 2024, le film a depuis subi quelques «petits peaufinages techniques» pour prendre la forme définitive, avec des sous-titres français «pour toucher le plus large public possible au Luxembourg», et est distribué depuis mercredi au cinéma Utopia, avant de tourner dans tout le pays à partir du mois de mars auprès des salles du réseau Cinextdoor. Et ce joli bout de chemin, pour un film entièrement autofinancé – à l’exception d’une «petite bourse obtenue dans le cadre des Journées du patrimoine» – pourrait se poursuivre de l’autre côté de l’océan : «La LACS est en train de considérer l’idée de montrer le film en août, lors du 39e Luxembourg Fest», et Geoff Thompson est également «en discussions avec l’Ambassade du Luxembourg à Washington et le Consulat Général à New York» pour d’autres projections.

Quant à savoir si le succès américain de la Bofferding et de la Twisted Cat risque d’être mis à mal par les menaces de sanctions économiques lancées par Donald Trump, le réalisateur se montre confiant : «Si cela devait arriver, les consommateurs sont ravis de la présentation de la qualité des produits; dans ce cas, on accepte de payer un peu plus, et les exportateurs luxembourgeois seront toujours heureux d’envoyer leurs produits en Amérique.»

Luxembourg in America, de Geoff Thompson. En salles.